CET ARTICLE A INITIALEMENT ÉTÉ PUBLIÉ DANS ARCHIMAG N°374
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La vie d’une bibliothèque, qu’elle soit municipale, départementale, nationale, universitaire ou encore spécialisée, est en perpétuel mouvement. Outre les projets de transformation des systèmes d’information, les bibliothèques doivent aussi répondre aux changements opérés par leur tutelle ou aux évolutions sociétales et environnementales (fusion d’entités, loi promulguée ou règlement à appliquer, modification de la politique documentaire, etc.).
Comment impulser une nouvelle dynamique et embarquer l’ensemble des parties prenantes, aussi bien au niveau des managers que des collaborateurs et des usagers ? Pour Christophe Pérales, directeur général délégué aux bibliothèques et musées de l’Université Paris Cité et directeur de l’ouvrage collectif "Conduire le changement en bibliothèque : vers des organisations apprenantes" (Enssib, 2015), les problématiques de conduite du changement sont assez similaires à celles d’autres secteurs.
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À l’occasion de la création de l’Université Paris Cité (par la fusion des universités Paris-Descartes, Paris-Diderot et de l’Institut de physique du globe de Paris, en outre liés par un partenariat exclusif avec l’Institut Pasteur), Christophe Pérales a dû mener l’unification des services et des activités chargés de la diffusion du savoir durant plusieurs années. Il souligne l’importance de certaines pratiques et éléments systémiques à la mise en place d’une dynamique de changement.
Définir la marge de manœuvre et donner du sens
"Au départ du projet, il est nécessaire d’évaluer la marge de manœuvre et ce qui est non négociable", explique-t-il. "Par exemple, dans notre cas, la fusion entre les universités était une décision politique qui s’est imposée à nous".
Légende : Christophe Pérales, directeur général délégué aux bibliothèques et musées de l’Université Paris Cité. (DR)
Les délais d’exécution peuvent aussi constituer d’inévitables prérogatives à respecter. "Il faut être tout à fait transparent avec les équipes et montrer là où l’on peut faire des propositions et travailler dans une approche plus "bottom-up" (une approche plus ascendante)", précise Christophe Pérales. "Pour autant, l’aspect non négociable d’un changement ne doit pas empêcher de donner du sens à ce que l’on fait". L’adhésion des équipes passe en grande partie par le management et notamment la façon dont le chef de projet va mobiliser les différents acteurs.
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Une erreur est fréquente : passer trop de temps à essayer d’expliquer les causes et le pourquoi du changement."Échanger autour des objectifs et de la réelle plus-value a davantage d’impact", poursuit Christophe Pérales. "Il me semble important d’expliquer à son équipe en quoi cela fait sens au regard de ses activités et de son rôle au sein de l’organisation".
Jongler avec les différentes parties prenantes
En fonction de la nature du changement et des différentes contraintes, notamment de délais, plusieurs approches collaboratives peuvent être envisagées avec les équipes et le public. "Il faut bien distinguer la consultation de la concertation", souligne Christophe Pérales. "Dans le premier cas, vous amenez une solution ou une proposition de solution, puis elle est enrichie par la discussion collective. Dans une concertation, c’est toujours vous qui apportez la question, mais les scénarios de solution sont coconstruits".
Selon le temps disponible, la démarche peut donc être plus ou moins participative. À la fin, dans les deux cas, c’est la direction qui tranche : "dans la fonction publique, la codécision n’existe pas, hiérarchie oblige…", reconnaît Christophe Pérales. Dans tous les cas, un comité de pilotage peut être mis en place avec différents groupes de travail. "L’architecture du projet, sa gouvernance, le déroulement ou encore le reporting à chaque étape doivent être pensés dès le début".
Lors de la création de l’Université Paris Cité, un accompagnement des métiers du management a été mis en place avec de la responsabilisation et de la formation. "C’était important pour démultiplier l’action que nous menions, mais aussi pour nous nourrir des retours du terrain et arriver à quelque chose de très cohérent".
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Dans certains cas, la participation du public au projet n’est ni faisable ni nécessaire. Par exemple, lors de la mise en place d’un nouveau système de gestion d’information. "Mais dès que cela est possible, je pense qu’il faut faire participer les usagers aux groupes de travail", souligne Christophe Pérales. "Véritables boussoles, ils permettent de s’assurer que l’on va dans la bonne direction et d’évaluer les bénéfices réels. D’autre part, ils peuvent constituer de vrais ambassadeurs".
En effet, l’adhésion des usagers à un projet de changement facilite la levée des résistances auprès des différents collaborateurs. "La plupart des personnes qui travaillent dans le service public le font parce qu’elles ont une vraie volonté de servir la société et la communauté. Leur permettre d’identifier les améliorations de la qualité de service que le changement va apporter peut représenter une motivation puissante". Par ailleurs, le fait d’engager les usagers finaux dans le processus est une façon de les impliquer dans la vie de leur bibliothèque et de créer un sentiment d’appropriation.
L’humain au cœur du changement
Pour Christophe Pérales, la conduite du changement doit définitivement reposer sur l’humain. "Comme dans toute gestion de projet, il faut prendre en compte la dimension émotionnelle et accepter parfois de perdre du temps pour en gagner sur autre chose", explique-t-il. "Le changement crée inévitablement de l’incertitude et de l’angoisse. Il faut savoir rassurer et accompagner les collaborateurs".
Sur le terrain, les porteurs de projet peuvent effectivement se confronter à des personnes qui redoutent le changement. Les raisons avancées peuvent être idéologiques ou symboliques (sentiment de remise en cause de l’autonomie ou de la place acquise, etc.). "Mais au fond, c’est toujours sur le plan émotionnel que cela se joue", insiste Christophe Pérales ; "car changer, c’est inconfortable et angoissant en soi. Il ne faut pas s’épuiser à convaincre à tout prix le petit groupe de réfractaires qui résistera contre quoi qu’on fasse, mais plutôt employer son énergie à embarquer la majorité silencieuse, celle qui attend de voir ce qu’il y a à perdre et à gagner, en s’appuyant sur quelques éléments moteurs".
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De l’importance de communiquer en toute transparence
Christophe Pérales souligne également l’importance d’une communication transparente et régulière sur les étapes du processus et son avancement. "La communication doit être pensée de manière systémique à un projet de changement. Cela se traduit par l’élaboration d’un plan de communication et si possible par la création d’un groupe de travail dédié à cette tâche. Plus la communication est anticipée, plus celle-ci aura de l’impact".
Rédaction de newsletters ou d’e-mails, organisation de webinaires ou d’événements en présentiel… Les formats sont multiples ! "Nos outils actuels sont autant de leviers d’action disponibles", remarque-t-il. "Pour autant, j’ai tendance à privilégier la communication orale, lorsqu’elle est possible, car elle favorise les interactions et évite les malentendus".
Mesurer l’impact du changement
Plusieurs indicateurs permettent de veiller à la bonne réussite d’un projet de transformation. "La première évaluation consiste à déterminer si l’on a réussi à embarquer un maximum de gens", explique Christophe Pérales. "Le projet a-t-il généré beaucoup de résistance, voire de l’agitation sociale… ?".
Ensuite, la mesure des bénéfices apportés aux usagers représente un autre indicateur important. "La perception qu’ont les usagers de notre travail nous permet de réaliser des ajustements ou de constater, si les retours sont positifs, que nous n’avons pas souffert pour rien ! C’est important aussi pour le moral des troupes !".
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Il faut également prendre conscience qu’un projet de changement n’est jamais réellement terminé. "Il y a un "service après-vente" à mener pour consolider et continuer d’accompagner le nouveau fonctionnement", conclut Christophe Pérales.