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Fake news : comment reconnaître le vrai du faux

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    "Les fake news ne sont que l’arbre qui cache la forêt de l’ignorance de celui qui croit savoir, un homme dangereux pour lui-même et dangereux pour les autres. Une faille que saura bien entendu exploiter son adversaire". (Freepik/Rawpixel.com)
  • Les "fake news", fausses nouvelles – ou littéralement "nouvelles truquées" - sont aussi anciennes que les sociétés humaines et les professionnels du renseignement et de l’investigation en ont toujours fait leur lot quotidien tant pour s’en prémunir que pour en faire un usage offensif (désinformation ou intoxication). Alors quoi de neuf sous le soleil de la connaissance et pourquoi parler de fake news ? Celles-ci ne seraient-elles finalement pas une vieille réalité habillée à la mode 2.0 sous la houlette du marketing de la peur ? Ou alors une notion qui dénoterait un changement d’échelle, voire une disruption liée au développement des réseaux sociaux numériques ?

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    De fait, la notion de fake news s’est développée avec l’émergence des Facebook ou autres Twitter. Trois raisons expliquent l’engouement et la crainte suscités par ce phénomène : 

    • Tout d’abord, une propagation inédite des fausses nouvelles dans le temps (six fois plus vite que les informations vraies) et dans l’espace, la capacité de toucher des milliers, voire des millions de personnes en un temps record.
    • Ensuite, une tendance à un enfermement dans des bulles informationnelles, une forme de confort cognitif qui fait généralement peu de cas de la vérité, se contentant d’un zest de véracité.
    • Enfin et surtout, une dépossession partielle du pouvoir de désinformer des acteurs classiques — les États et leurs services spéciaux associés aux grands médias — au bénéfice d’une myriade d’acteurs hétérogènes qui, avec peu de moyens, peuvent mener de véritables campagnes d’intox et déstabiliser une entreprise, l’image d’un produit ou de toute la marque, directement ou indirectement.

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    Fake news : les cas Starbucks ou Nutella

    Les cas Starbucks ou Nutella sont désormais célèbres, la première n’étant pas à l’origine d’une campagne annonçant la gratuité des boissons aux immigrants sans-papiers et la seconde n’ayant pas rappelé 625 000 pots contaminés aux salmonelles (1). Ou encore ce faux communiqué de presse du groupe Vinci annonçant le licenciement du directeur financier suite au détournement de 3,5 milliards d’euros. Et il paraît même que Bloomberg serait tombé dans le panneau ! Étonnant, mais surtout coûteux pour le prix de l’action. Les exemples ne manquent pas d’autant que les entreprises, jusque-là peu touchées, seraient devenues des cibles de choix.

    Alors, comment s’en prémunir ? Théoriquement, les professionnels de l’intelligence économique, biberonnés à la culture du renseignement, disposent de tous les outils pour y faire face. Mais ce phénomène des fake news pose une question plus large au niveau de l’organisation et des biais cognitifs.

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    Comment repérer une fake news ? Des méthodes bien connues

    Comment repérer des fake news ? Les articles qui traitent de cette question proposent des méthodes bien connues des professionnels de l’investigation : journalistes, policiers, officiers traitants et analystes et bien entendu veilleurs. À savoir :

    • aller au-delà du titre en lisant l’article en entier pour voir si le contenu est crédible ou s’il ne s’agit pas d’humour ;
    • vérifier la date et le caractère plausible des évènements énoncés ;
    • identifier clairement la source en explorant son site web, c’est-à-dire son but (« qui nous sommes »), ses autres publications, sa page « contacts » ;
    • identifier également l’auteur, son existence réelle, sa légitimité, ses autres écrits ;
    • vérifier ce que disent les experts sur le sujet ;
    • évaluer nos préjugés, ces opinions qui affectent notre jugement.

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    Le renseignement : un produit fini et fiable

    Nous retrouvons là les grands principes énoncés par les manuels d’intelligence économique concernant la phase d’exploitation des informations recueillies : la validation, le traitement, l’analyse et la synthèse. Le renseignement est un produit fini et fiable.

    Pour ce faire, il faut trier et donc estimer la valeur des informations collectées. Dans les services d’État d’où est issue la fameuse méthodologie du cycle du renseignement transférée dans les entreprises, les officiers traitants chargés des sources humaines et les spécialistes qui exploitent les sources techniques vont se livrer à ce travail critique en cotant les sources et les renseignements. Sont-ils fiables ? Ont-ils été recoupés par d’autres sources ?

    Ils vont donner des notes et, surtout, rendre la source anonyme (la démarquer) afin que l’analyste qui centralise, recoupe, compare et étudie les renseignements ne les juge pas en fonction de leurs auteurs. « Si c’est tel expert qui le dit, alors… » est un réflexe à éviter absolument.

    Car dans le monde dit « professionnel » toute opération de désinformation s’appuiera sur des sources jusque-là considérées comme fiables quand cette fiabilité n’a pas été construite uniquement en vue de cette manipulation…

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    Évaluations objectives des renseignements

    Le travail des analystes doit ainsi aboutir à des évaluations objectives des renseignements ; ce travail s’appuie évidemment sur la mémoire et sur l’expérience du spécialiste comme de l’organisation.

    Alors que les sources travaillent dans le cloisonnement, les analystes peuvent travailler dans la transversalité, échanger des renseignements, des synthèses… L’analyste est un spécialiste de haut niveau qui est investi d’une véritable mission stratégique. Analyser, c’est donner du sens aux données recueillies. Les méthodes et la philosophie de l’analyste sont celles de tout enquêteur :

    • n’avoir aucun préjugé ;
    • ne pas faire coller les évènements avec ses théories ;
    • séparer l’essentiel de l’accidentel ;
    • privilégier l’induction puis utiliser la déduction ;
    • ne pas se limiter à une seule déduction possible ;
    • se mettre à la place de l’autre.

    « Nos idées, disait Claude Bernard, ne sont que des instruments intellectuels qui nous servent à pénétrer dans les phénomènes ; il faut les changer quand elles ont rempli leur rôle, comme on change un bistouri émoussé quand il a servi trop longtemps. »

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    Culture et rigueur scientifique des Lumières

    Au-delà des ces principes et techniques, reconnaître les fake news est d’abord une question de culture, c’est-à-dire de capacité à mettre en perspective l’information au sein d’un système de connaissance approfondi. Autrement dit, plus la culture sera superficielle et la rigueur scientifique des Lumières mise de côté au profit de pseudo-certitudes mortifères, plus les fake news pourront trouver d’échos favorables.

    Pourquoi ? La réponse nous est donnée par la fameuse boucle OODA reconnue aux États-Unis par le courant de la « Competitive intelligence ». Inventée par des pilotes de chasse américains pour gagner en agilité sur leurs adversaires soviétiques, elle modélise le processus de décision qui va de l’Observation à l’Action en passant par la phase centrale d’Orientation qui conduit à la décision. Dès lors, il s’agira de raccourcir sa boucle Observation-Orientation-Décision-Action et d’allonger la boucle de l’adversaire.

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    Mais surtout, il faut retenir de cette modélisation que ce n’est pas l’information qui conduit directement à l’action, mais l’image mentale que nous construisons. Une image mentale que nous construisons et déconstruisons certes à partir de données, mais aussi en fonction de notre culture, de notre histoire et de notre capacité à ne pas tomber dans les pièges des biais cognitifs.

    Par exemple le biais juridictionnel qui nous enferme dans notre domaine de spécialisation ou le biais d’attente qui consiste à entr’apercevoir ces fameux et spécieux « signaux faibles » dont la soi-disant faiblesse viendra paradoxalement nous conforter dans nos certitudes quand le renseignement doit pouvoir remettre en question, réenseigner notre vision d’un sujet.

    On le voit : les fake news ne sont que l’arbre qui cache la forêt de l’ignorance de celui qui croit savoir, un homme dangereux pour lui-même et dangereux pour les autres. Une faille que saura bien entendu exploiter son adversaire.

    Nicolas Moinet
    [Nicolas Moinet est Professeur des universités à l’IAE de Poitiers. Praticien-chercheur en intelligence économique, il est l’auteur de nombreux ouvrages académiques et professionnels sur le sujet. Dernière parution : Les sentiers de la guerre économique. 1. L’école des « nouveaux espions », VA Editions, 2018.]

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