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Comment la bibliothèque de Sciences Po Paris lutte contre les fake news

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    Anita Beldiman-Moore, resp. du département service aux usagers à la bibliothèque de Sciences Po (Paris) et Dinah Galligo, ancienne chargée de la veille à cette bibliothèque et blogueuse expliquent comment la question des fake news y est abordée. (Freepik)
  • S’il est un lieu où les fausses informations ne devraient pas avoir de place, c’est bien la bibliothèque universitaire. La curiosité des étudiants est sans limites, encore faut-il leur donner des repères ! Points de vue d’Anita Beldiman-Moore, responsable du département service aux usagers, bibliothèque de Sciences Po (Paris), et de Dinah Galligo, ancienne chargée de la veille à cette bibliothèque et blogueuse (Prospectibles).

    Temps de lecture : 6 minutes

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    Sommaire du dossier :


    Comment la question des fake news est-elle abordée à la bibliothèque de Sciences Po ?

    Anita Beldiman-Moore. Au-delà des fake news, à la bibliothèque de Sciences Po, nous avons assez rapidement élargi la question à celle de l’évaluation de l’information et du web. Cette démarche a été entreprise en collaboration avec notre médialab (Laboratoire de recherche interdisciplinaire de Science Po). Progressivement, nous avons acquis une expérience de l’analyse de corpus web. Comment évaluer un site ? Que peut-on comprendre des interactions entre sites ? Il faut prendre de la distance par rapport aux listes de résultats proposées par les moteurs de recherche. L’algorithme de Google n’est pas neutre.

    Dinah Galligo. Google sait ce que l’on cherche, nous connaît et renforce nos certitudes à partir de nos recherches précédentes dans la présentation de ses résultats. Il faut tenir compte de ce biais issu de nos données personnelles en utilisant le moteur de recherche.

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    Comment une bibliothèque peut-elle garantir une bonne information ?
     

    DG. On ne peut pas garantir la fiabilité d’une information. Mais nous pouvons faire des propositions d’outils donnant un cadre sur la façon d’évaluer des sources. Et ainsi sensibiliser aux revues prédatrices, pousser à se méfier des preprints…

    ABM. Les revues académiques suivent un processus éprouvé de vérification de l’information ; on se situe dans le cadre de l’édition scientifique, il y a des comités de lecture… Ces ressources ne posent pas de problème en soi. Mais le public en bibliothèque universitaire va au-delà des ressources académiques. Tous les étudiants ont leur portable, leur premier réflexe est d’explorer le web, on ne contrôle plus l’information qu’ils regardent. Nous devons donc leur apprendre à interroger le document. Nous leur proposons la méthode des 3QCPO qui pousse à se poser six questions : quelle est la nature de la source ? qui écrit ? quand et où l’information a-t-elle été produite ? comment et pourquoi ? L’enjeu est de fournir une grille d’analyse pour aiguiser le regard, permettre d’aller au-delà du titre.

    DG. L’évaluation de l’information n’est pas une chasse au trésor, un choix à opérer entre vrai ou faux. Elle tient compte du contexte du document. L’autorité et la crédibilité ne sont pas prédéterminées, mais doivent être construites.

    ABM. Il faut apprendre à gérer les zones grises : une chose n’est pas fausse en elle-même, en revanche elle peut être fausse dans un certain contexte ou à un moment donné.

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    Ainsi pour lutter contre les fake news, il faut éduquer aux médias ?

    ABM. Oui, tout à fait. Et c’est une éducation à mener depuis l’école. C’est d’ailleurs un mouvement qui a vraiment commencé après les attentats du journal satirique Charlie Hebdo en janvier 2015.

    Comment le public reçoit-il cet enseignement ?

    ABM. Comme souvent, au départ, les étudiants pensent maîtriser ces clés. Génération hyper connectée, ils sont persuadés qu’ils n’ont pas besoin d’y revenir ! Après une séance où, par exemple, on leur soumet côte à côte le site d’une revue scientifique, Wikipédia et le blog d’un chercheur, et où on les pousse à se poser des questions, à aller au-delà du premier réflexe, ils se rendent compte que la réalité est plus nuancée.

    DG. Il faut prendre en compte les biais cognitifs du public. Les gens font preuve d’un grand désir de certitudes et ont une gourmandise pour le faux. C’est particulièrement vrai en période de crise — on le constate avec la pandémie de Covid-19 —, les gens veulent des informations très établies, claires, tandis que les réseaux sociaux, en particulier, poussent à leur extrême les fausses informations.

    ABM. D’où la réaction qui consiste à ouvrir la science. La première étape a conduit à l’ouverture des publications scientifiques, pour leur mise à disposition du plus grand nombre. La seconde étape amène à permettre l’accès aux données mêmes de la recherche. Certaines revues conditionnent désormais la publication d’un article à celle des données.

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    Parce que la détection de fake news devient de plus en plus difficile ?

    DG. Les fake news se cachent aussi dans les images et les vidéos. Voyez le travail de vérification de l’AFP. Les images peuvent être détournées, truquées…

    ABM. Oui, ce travail de vérification devient de plus en plus difficile. Plus que jamais, il faut outiller le public. Et ce travail est aussi un travail de chercheurs, comme ce qui est entrepris avec le médialab qui a par exemple analysé un corpus de trois cent vingt-huit sites à l’occasion de l’élection présidentielle française.

    enlightenedLire aussi : Fake news : comment reconnaître le vrai du faux

    En tant que bibliothécaires, pensez-vous que vous disposiez des compétences pour mettre en place ces formations et ces outils d’évaluation de l’information ?

    ABM. Sans fausse modestie, oui. Nous sommes des professionnels de l’information et cela fait partie de notre métier que d’apprendre la méthodologie de recherche de l’information et ensuite de l’évaluation des résultats. Les bibliothécaires ne sont plus simplement confrontés à des livres ou des articles de périodiques. Il leur faut parvenir à dépasser ce qui peut paraître intimidant dans des objets web, images ou data pour les considérer comme des objets informationnels. Les outils intellectuels d’analyse restent les mêmes.

    enlightenedLire aussi : Franck Hurinville (BNF) : "bibliothécaires et documentalistes ont un rôle à jouer contre la désinformation"


    + repères

    Des régimes de vérité

    Pour Olivier Ertzscheid, enseignant-chercheur en sciences de l’information et de la communication, les plateformes sociales et les moteurs de recherche ont leurs « régimes de vérité ».

    Il décrit : « Facebook est une machine à produire de l’engagement. Google est une machine à produire de la popularité. Ce qui veut dire que le régime de vérité de Google est celui de la popularité. Est “vrai” dans l’écosystème Google, au regard des critères de l’algorithme de Google, ce qui est populaire. Wikipédia dispose elle aussi d’un régime de vérité, différent. Le régime de vérité de Wikipédia est celui de la vérifiabilité. Est “vrai” dans l’écosystème Wikipédia ce qui est vérifiable ».

    Source : « Un algorithme est un éditorialiste comme les autres » (15 nov. 2016) 

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    Les bibliothèques sont le lieu de tous les médias, traditionnels (livres, revues, cinéma…) et numériques (internet, réseaux sociaux, jeux…). Cela les met en bonne place pour prendre des initiatives contre les fake news. Les fausses informations se glissent en effet partout, atteignant des publics vulnérables, consentants ou tout simplement inattentifs.
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