le droit à l’oubli numérique : nouvelle donne sur internet ?

 

Le droit à l’oubli est un concept au moins aussi vieux que le christianisme, fondé tout d’abord sur la conviction que tout homme peut s’amender. C’est ce droit que détient tout être humain que soient oubliés les actes qu’il a posés ou commis dans son passé:

-  Au motif qu’il a changé et s’est amélioré– conception morale et religieuse.

-  Au motif qu’il a payé sa dette à lasociété, soit pour des infractions pénales,soit pour des erreurs commises ousubies – divorce, faillite… –, dont lasociété doit lui donner en quelque sortequitus pour l’aider à repartir sur de meilleuresbases – conception juridique etjuridictionnelle.

Sur ces dernières bases, il est admis que certaines infractions pénales puissent être effacées du casier judiciaire, qu’un condamné qui a passé des années en prison pour sa faute ait une chance de se réinsérer, que certaines informations puissent être oubliées au bout d’un certain temps – par exemple, interdit bancaire. Tel est le premier volet du droit à l’oubli.

et l'informatique?

Tout naturellement, le législateur de 1978 a consacré, sans jamais l’écrire en tant que tel, ce droit dans la loi informatique, fichiers de libertés. L’esprit de la loi en découle tout naturellement. L’informatique ne peut avoir pour effet de conserver indéfiniment des données sur une personne. La loi impose donc dans tout traitement de données à caractère personnel, un délai de conservation des données pendant « une durée qui n’excède pas la durée nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont collectées et traitées » (art. 6-5 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée).

l'oubli devient numérique

Ainsi consacré par la loi informatique, fichiers et libertés, le droit à l’oubli devient forcément numérique puisque l’informatique intervient. Et la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), chargée de veiller à l’exécution de la loi, va contrôler avec beaucoup de rigueur le respect de ces délais de conservation afin qu’à leur issue, les données soient purgées des fichiers. Mais le contexte de ce droit reste circonscrit aux traitements de données à caractère personnel réalisés par des organismes, en interne. Il constitue le rempart pour la protection du citoyen contre des traitements par trop indiscrets des administrations ou des entreprises privées.

le contexte d'internet

L’émergence d’internet ne va dans un premier temps pas changer les choses. Les administrations et entreprises privée sont dès lors la possibilité de collecter plus facilement des données personnelles,mais le cadre légal reste globalement applicable dans ses principes.

les décisions de justice

La question va se poser pour la publication de certaines informations officielles. Forte de la loi précitée, au vu des graves risques de recoupements grâce à l’informatique et à internet, la Cnil a émis une recommandation pour que les décisions de justice soient anonymisées lorsqu’elles sont publiées sur internet. Et Légifrance,autant que les autres sites publiant de la jurisprudence, se sont conformés à cette recommandation. On voit tout de suite que le droit à l’oubli fait du chemin et le droit à oublier au bout d’un certain temps, au sens strict, se confond avec le droit à une certaine confidentialité. Il n’est pas question de supprimer partout le nom des personnes ayant eu maille à partir avec la justice, mais simplement de ne pas publier leur nom sur internet.

hors de France

Il faut savoir que cette précaution n’est pas pratiquée partout. Certains États desÉtats-Unis publient toutes les décisions de justice non anonymes sur le net…Quand ils ne publient pas carrément les photographies des hommes condamnés pour pédophilie. Des États voisins dela France mettent en ligne leurs décisions juridictionnelles sans avoir pris la peine de les rendre anonymes. Du coup, des ex-condamnés les attaquent en responsabilité au motif que ces publications nominatives leur causent de graves préjudices.

informations commerciales

Il est un autre type d’information qui pourraitsuivre la même règle, mais la Cnil n’a pas pris position dessus. Ce sont les renseignements commerciaux. Si un site public comme Infogreffe ne permet pas de connaître directement et sans frais les noms des dirigeants d’une société en liquidation judiciaire, par exemple – il faut acheter les actes officiels publics en ligne, ce qui limite la curiosité… –, d’autres sites s’étant procuré les bases de données des greffes de tribunaux de commerce, n’hésitent pas à rendre directement publiques ces données, ce qui peut nuire à des dirigeants malheureux qui vont avoir d’autant plus de mal à retrouver un travail dès lorsqu’un éventuel employeur jouera la sécurité et aura vu, grâce à Google, que le candidat est un ancien « failli ».

décisions anonymes et lynchage médiatique

Pourquoi dès lors ne pas appliquer la même anonymisation à tout type de donnée qui peut se révéler préjudiciable à une personne physique sur le net ? On vient de voir le cas difficile des informations commerciales, mais il en est un autre moins discutable.Ce qui vaut pour une décision de justice pourtant officiellement prise par des autorités étatiques, devrait valoir, a fortiori, surtout site web et pour toute information à caractère personnel. N’est-il pas contradictoire de masquer soigneusement le nomd’une personne condamnée par la justice et de continuer à laisser des personnes être lynchées par la presse et sur le net, le plus souvent au mépris de la présomption d’innocence? En clair, tant que la personne ne serait pas condamnée, elle est présumée innocente, mais « au nom du droit à l’information» la presse s’autorise à traîner la personne dans la boue. Dès que la personne est condamnée, son nom est anonymisé sur la décision de justice, mais les ragots demeurent sur le net, des années après les affaires judiciaires, ou pire. Alors même qu’elles n’ont jamais été condamnées. Cela paraît si choquant que les services juridiques de la Cnil ont été saisis à ce sujet.

une double peine?

Dans l’hypothèse où une personne est condamnée, ou encore est déclarée en liquidation judiciaire, ne peut-on analyser cette publication universelle sur le net, et immédiatement retraitée par les moteurs de recherche de personnes, comme une double peine ? Non seulement le commerçant a failli, mais il est marqué de cette flétrissure permanente, comme au fer rouge par le réseau des réseaux. Et dans ce cas, de quel droit des outils de recherche, des sites de renseignements commerciaux trop zélés se permettent-ils de prononcer ainsi cette double peine ? En vertu de quel pouvoir judiciaire le font-ils ? Sans vouloir paraître dirigiste et appeler à une réglementation, il est au moins permis de constater l’abus.

élargissement du droit à l'oubli

Mais plus récemment, la notion de droit à l’oubli stricto sensu semble s’élargir, dans le sens constaté ci-dessus. Tout d’abord, dans la foulée de la publication de leur rapport d’information rendu public le 27 mai 2009, deux sénateurs, Yves Détraigne et Anne-Marie Escoffier, ont déposé, le 6 novembre, une proposition de loi « visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique ». Ce texte prévoit le renforcement des garanties apportées au citoyen par la loi informatique, fichiers et libertés, en vue de donner une plus grande efficacité au droit à l’oubli numérique. Mais à la lecture du projet, la notion de droit à l’oubli s’étend insensiblement vers un droit plus large au respect de la vie privée. Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaired’État chargée de la prospective et du développement de l’Économie numérique, organisait le 12 novembre 2009 un atelier public sur le droit à l’oubli numérique, ayant le mérite de fédérer en même temps que médiatiser le problème et de lancer l’idée d’un large droit à l’oubli numérique. Mais il y a semble-t-il forte convergence avec d’autres grandes voix démocratiques. La Secrétaire d’État intervenait également au 4e Forum de la gouvernance de l’internet, à Charm El-Cheikh (Égypte), du 15 au 18 novembre 2009. Elle y plaidait pour une mondialisation de ce droit à l’oubli numérique, là aussi pris dans son sens large. Le 23 novembre, Alex Türk, président de la Cnil, se déclarait favorable à l’inscription du droit à l’oubli dans la Constitution française cependant que le secrétaire général de la même institution publiait le 27 novembre une actualité sur le site de la Cnil en faveur du droit à l’oubli numérique. Lors de son point de presse du 15 avril 2010, pour lancer son site Prospectivenumerique.gouv.fr, Nathalie Kosciusko-Morizet affirmait, appuyée par un juriste, cette lecture élargie du droit à l’oubli numérique qui englobe tout type de protection de la vie privée. C’est ainsi qu’au nom de ce droit, le projet de Charte du droit à l’oubli en préparation prévoit que les réseaux sociaux qui aménageraient l’espace privé de chaque adhérent serait par défaut fermé, charge à cet adhérent de communiquer aux amis et autres adhérents les données qu’il souhaite. Une affaire à suivre tant sur le plan français que mondial.

Les podcasts d'Archimag
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