CET ARTICLE A INITIALEMENT ÉTÉ PUBLIÉ DANS ARCHIMAG N°384 : Secteur public : comment l’administration pilote sa digitalisation
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1. Qui est le CFC ?
Des origines partiellement américaines
Créé en 1983, le CFC (Centre français du copyright) était à l’origine une société à capital variable regroupant des éditeurs de livres. Pourquoi parler de "copyright" au pays du droit d’auteur ? En fait, à l’origine, des éditeurs médicaux américains ont promu la création du CFC. Après intervention de l’éphémère ministère de la Francophonie, le nom devient Centre français d’exploitation du droit de copie. Suite aux échecs de sa politique de négociation de contrats avec des diffuseurs de photocopies jugées illicites, selon eux (licences dites "contractuelles"), le Centre va évoluer.
La loi sur la reproduction par reprographie
Le lobby des éditeurs a fait voter une loi instituant une "licence légale obligatoire". Le projet fut rédigé par un avocat inconnu, alors même que le professeur Pierre Sirinelli, expert reconnu en droit d’auteur, avait refusé de s’en charger au vu du système qu’il voulait créer.
Cette loi du 3 janvier 1995 fait obligation à tous les exploitants de reproductions papier d’œuvres d’auteurs de verser des droits d’auteur à une société de gestion collective représentant les auteurs et agréée par le ministère de la Culture. Le CFC ne représentait alors que les éditeurs : il lui fallut 18 mois, à partir du décret d’application sur les modalités d’agrément, pour que le CFC devienne "agréable" (jeu de mot de Patrick Join-Lambert, alors président fondateur du CFC) et soit agréé en 1996. Le CFC compte depuis lors, parmi ses membres, des sociétés d’auteurs.
Le CFC agréé pour les seules copies papier
Rappelons que la loi fondant l’agrément du CFC ne vise que les "reproductions par reprographie", c’est-à-dire précisément les copies réalisées à partir d’un support papier et sur papier. Les copies papier d’un article numérique et les copies numériques d’un support papier ne sont pas concernées, ni bien sûr les copies numériques d’un support numérique (cette stricte limite nous a été confirmée à l’époque par le directeur juridique du CFC.).
Le CFC mandataire privé des certains éditeurs pour le numérique
Après de longs efforts auprès des éditeurs de presse, méfiants, le CFC est aujourd’hui mandaté par de nombreux éditeurs de livres et de presse. La liste des éditeurs mandants est tenue à jour sur son site web.
Lire aussi : Droit à la copie : rémunération des auteurs et CFC
À retenir en pratique
Le CFC n’est agréé pour des licences légales obligatoires que pour les copies papier.
- À ce titre, il ne représente que des sociétés d’auteurs, délégataires de leurs membres auteurs. Or, de nombreux auteurs ne sont pas affiliés volontairement à des sociétés d’auteurs. Ce point a son importance pour la suite des analyses de faisabilité juridique des pratiques du CFC.
- Pour les usages numériques, il faudrait d’abord vérifier si le CFC est bien mandaté par les éditeurs des ouvrages ou revues reproduits dans son entreprise.
- À défaut, il n’est pas fondé à contracter pour le compte d’éditeurs qu’il ne représente pas (le CFC invoque la notion de gestion d’affaires, mais cela ne tient pas l’analyse juridique, nous y reviendrons).
- Le mandat donné par les éditeurs n’est en principe pas exclusif. Il est donc possible de négocier, soit directement avec chaque éditeur, soit avec d’autres mandataires, par exemple les agrégateurs de presse, type Aday, Factiva ou autres.
2. Quelques arguments économiques du CFC
Pour calculer au départ les redevances de droit d’auteur à percevoir, le CFC est parti de données économiques des éditeurs.
Prix de revient à la page pour un éditeur
Le CFC a ainsi demandé aux éditeurs de fournir des données économiques permettant de calculer un prix moyen par secteur d’activité.
Ce prix inclut :
- les coûts induits pour l’éditeur (charges de l’entreprise) ;
- les coûts d’impression, notamment papier et encre ;
- les coûts de routage des revues ou de diffusion publique (kiosques) ;
- la rémunération des auteurs (lorsqu’ils le sont…).
Cet ensemble rapporté à la page d’une revue donne le coût de revient à la page. Et c’est ce que le CFC réclame au titre des redevances de "droits d’auteur".
NB : ceci amène, par exemple, l’acheteur d’une revue à payer deux fois le papier et l’encre : il est déjà compris dans le prix de l’abonnement ou de l’achat à l’unité, et il le paie à nouveau au travers de la redevance de prétendu "droit d’auteur" facturée par le CFC. Ce qui, bien sûr, tombe sous le coup de "l’enrichissement sans cause".
Lire aussi : Droit d’auteur, intelligence artificielle et production documentaire
La vraie rémunération de l’auteur
- Un difficile calcul : On pourrait se référer à la rémunération effective pour un journaliste professionnel. Mais certains auteurs d’articles sont bénévoles (tribune d’une personnalité, lettre ouverte, expert bénévole…) et de nombreux éditeurs professionnels publient essentiellement des experts bénévoles. Certains éditeurs scientifiques (notamment en médecine) font payer les chercheurs pour publier (dans les années 1990, le CNRS avait réalisé une étude du coût que représentait les frais de publication de ses chercheurs dans la presse scientifique, soit 100 000 FF par publication. La situation ne s’est pas améliorée et le CNRS a tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises ces dernières années).
- Exemple pour un ouvrage : Utilisons des chiffres ronds pour cet exemple. Ouvrage de 150 pages vendu 15 € HT. Soit 15 €/150 pages = 0,10 € la page. Le prix à la page revendiqué en 1987 par le CFC était de 2 FF, soit 0,45 € soit 4,5 fois plus… Prix revenant à l’auteur : un auteur d’ouvrage touche généralement 8 à 10 % du prix de vente HT (restons à 10 %). Sur les 0,10 € à la page, l’auteur ne touche donc que 0,01 € maximum, soit 45 fois le prix facturé pour le compte de l’auteur !
- Le CFC rémunère-t-il réellement les auteurs ? : Cette question permet déjà de lever certaines contradictions juridiques dans le système du CFC. Il est impossible de les rémunérer, puisque le nom des auteurs n’est jamais collecté par le CFC aux termes de ses contrats. Les sommes reversées aux éditeurs — de livres ou de presse — ne peuvent pas être redistribuées aux auteurs, faute de l’identité des ceux-ci. Le CFC reverse les redevances aux éditeurs pour toute copie déclarée, même si l’auteur est bénévole ou non représenté, parce que non adhérent à une société de gestion collective. Sur quelle base et de quel droit reverser des droits en leur nom ? Les éditeurs de presse ont légalement dépossédé leurs journalistes professionnels de leurs droits d’exploitation sans compensation de salaires, se contentant de leur verser une prime annuelle. Pour qui leur reverse-t-on des "droits d’auteurs" ?
Vous avez dit "droit d’auteur" ?
Ce fut notre remarque à Patrick Join-Lambert, président du CFC (journée d’étude INTD dans les années 1990) : "cette redevance est plus un droit d’éditeur (droit qui n’existait pas à l’époque et qui aujourd’hui ne concerne pas ce domaine) qu’un vrai droit d’auteur". Réponse édifiante : "ma conviction est qu’il faut rester sur le terrain du droit d’auteur".
Question : "qu’est-ce qui vous permet d’étayer cette conviction ?" Réponse : "une conviction ne se démontre pas". Autrement dit, le CFC n’avait aucun argument pour justifier que, sous couvert de droit d’auteur, ils perçoivent des redevances dont la base de calcul intègre tous les coûts des éditeurs.
Lire aussi : Patrimoine immatériel des entreprises : gérer les droits d’auteurs
3. À retenir
En raccourci, le CFC collecte des "redevances de droits d’auteurs", dont la base de calcul inclut tous les frais de l’édition et de la distribution, en partie entaché d’enrichissement sans cause. Ces droits d’auteurs sont reversés aux éditeurs qui ne peuvent les redistribuer aux auteurs concernés, faute d’indications sur leur identité. Ajoutons que pour les auteurs bénévoles, le CFC n’a aucun droit pour percevoir des droits d’auteurs en leurs noms, ce qu’il fait pourtant.
Nous analyserons dans les prochains articles les fondements juridiques du système du CFC.
Sources juridiques
Loi n° 95-4 du 3 janvier 1995 complétant le code de la propriété intellectuelle et relative à la gestion collective du droit de reproduction par reprographie : articles L.122-10 à L.122-12 Code de la propriété intellectuelle.
Décret n° 95-406 du 14 avril 1995 portant application des articles L. 122-10 à L. 122-12 du code de la propriété intellectuelle et relatif à la gestion collective du droit de reproduction par reprographie : articles R.321-1 à R.321-4 du même code.
Arrêté du 23 juillet 1996 portant agrément du Centre français d’exploitation du droit de copie, renouvelé depuis tous les 5 ans.
Didier Frochot
[www.les-infostratèges.com]