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Réalité augmentée : "les bibliothécaires doivent mettre les mains dans le cambouis"

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    "Ce qui change, ce sont les moyens qui permettent de mettre en place et de rendre possible la médiation" (Pixabay/Bonnybb)
  • Sommaire du dossier :

    Rencontre avec Thomas Chaimbault-Petitjean, responsable de la formation initiale des élèves fonctionnaires à l’Enssib (École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques). Il explique l'intérêt de verser de la réalité augmentée dans l'offre et les services proposés par les bibliothèques.

    Qu’est-ce que la réalité augmentée peut apporter aux bibliothèques ?

    La réalité augmentée permet de nombreux apports tant dans le domaine des contenus que dans celui des services à l’usager.

    Dans un premier temps, il peut s’agir de valoriser les collections des bibliothèques : sur le campus de l’université d’État de Caroline du Nord aux États-Unis, par exemple, des photos issues des collections patrimoniales viennent se superposer aux bâtiments scannés avec un dispositif mobile (smartphone, tablette...), tandis qu’au Royaume-Uni, l’équipe de recherche Scarlet documente et augmente le contenu de l’Évangile selon Saint Jean replaçant les fragments dans leur contexte ou traduisant les passages en grec ancien. Sans aller jusque-là, il va s’agir aussi de créer des passerelles entre ressources physiques et ressources numériques : scanner la jaquette d’un DVD ou d’un livre et voir apparaître une vidéo présentant le contenu de ce dernier ou n’importe quel contenu venant enrichir le document initial.

    Et en ce qui concerne les services ?

    Au niveau des services, on peut imaginer une application donnant accès à des informations pratiques, permettant de se repérer dans la bibliothèque comme à l’université de Floride, un tutoriel comme un calque indiquant le fonctionnement d’un outil particulier, sans oublier tous les usages possibles dans les domaines de l’animation (visite guidées, heure du conte…) et de l’enrichissement d’expositions. 

    En communiquant de courtes vidéos de présentation réalisées par les bibliothécaires eux-mêmes auxquelles les usagers peuvent accéder en scannant la couverture d’un livre, renforçant et renouvelant de fait le rôle de prescripteur du professionnel de l’information, ou en faisant présenter les espaces et les services par les usagers eux-mêmes, mais via une application de réalité augmentée, c’est l’image même de la bibliothèque qui est renouvelée et, partant, la relation que le bibliothécaire entretient avec ses usagers.

    Y a-t-il des bonnes pratiques à respecter et des pièges à éviter ?

    Il ne faut pas croire qu’il y a une appétence naturelle des usagers pour la réalité augmentée. Comme tout nouveau service et toute nouvelle technologie, il convient de bien accompagner et expliquer ce qu’est et à quoi sert ce nouvel outil. Il est important de proposer une offre claire de façon à ce qu’elle soit identifiée et bien comprise par les usagers ; ce point est très important. Et penser aussi à doubler l’offre d’une version accessible aux usagers non équipés.

    Sur le plan technique, quelles sont vos recommandations ?

    D’un point de vue technique, outre les vérifications sur les emplacements où se rejoignent réel et virtuel (pas trop loin de la borne WiFi, pas trop haut pour faciliter le scan de la marque avec son appareil, pas d’endroit dangereux, mais bien accessible aux usagers handicapés…), il ne faut pas oublier d’analyser les statistiques d’utilisation pour faire évoluer son offre de services. La technologie ne se suffit pas en soi. Elle doit avant tout répondre à un projet et si la réalité augmentée semble un bon moyen d’atteindre cet objectif, il faut y aller !

    Et justement, d’un point de vue stratégique, il me semble que le principal 

    piège consiste à partir de la technologie avant de penser en termes de projet. Par exemple, ce serait aller droit dans le mur que de vouloir mettre en place une technologie de réalité augmentée dans l’objectif flou et large d’attirer les adolescents dans les bibliothèques. Encore une fois, la technologie n’est ni bonne ni mauvaise en soi ; elle n’est pas non plus efficace ou inefficace. Il faut avant tout construire une offre, l’accompagner et la documenter, puis en évaluer les usages et assurer la maintenance sur le long terme de façon à proposer une offre de service pérenne.

    Il faut donc respecter le cœur de métier des bibliothécaires ?

    Bien sûr ! Le cœur de métier ne change pas. Les moyens mis à notre disposition s’élargissent, mais le bibliothécaire doit toujours construire des collections, proposer des services, faire de la médiation. Son rôle de médiateur, facilitant l’accès à de l’information et à de la connaissance ne change pas fondamentalement. Ce qui change, ce sont les moyens qui lui permettent de mettre en place et de rendre possible cette médiation. Les moyens traditionnels ne sont pas devenus obsolètes. Ils se voient complétés par d’autres outils globalement numériques. Je ne crois donc pas en un déplacement, encore moins en un bouleversement fondamental du rôle du bibliothécaire ou du professionnel de l’information. Que les outils, en revanche, rendent plus complexes les enjeux stratégiques, d’une part, les variations techniques, d’autre part, avec tout ce que cela implique en maintenance, mises à jour et évolutions, qu’ils modifient le cadre de production et de mise en œuvre des services, c’est indéniable. Mais cela n’affecte en rien, selon moi, le cœur même du métier. 

    Quelle est la réaction des étudiants et des professionnels que vous formez ?

    Les outils de réalité augmentée apparaissent dans un enseignement sur les liens entre la bibliothèque physique et la bibliothèque numérique. Il s’agit alors de présenter des outils permettant de souligner la continuité essentielle entre les deux et de valoriser ressources et services. Il ne s’agit pas de proposer un produit miracle, mais plutôt d’ouvrir un champ de possibles en présentant une technologie encore confidentielle. De fait, les réactions sont plutôt encourageantes et les collègues se montrent relativement curieux et intéressés. S’agissant des outils de réalité augmentée présentés, leurs questions demeurent très concrètes sur les coûts, le temps de mise en place, la technicité exigée et plus largement les fonctionnalités et les limites de chaque outil. Ils se posent également des questions en terme d’usages effectifs par les usagers qui utilisent déjà peu le catalogue et manipulent à peine les QR codes, mais c’est justement l’occasion de rappeler le rôle essentiel du suivi, de la signalétique, de l’accompagnement et de la médiation. On revient toujours à la même question : augmenter la réalité, pour quoi faire ? Si vous avez une réponse qui tient la route, alors il ne faut pas hésiter à essayer, à expérimenter et mettre les mains dans le cambouis !

    Les bibliothécaires vont-ils devoir se mettre à niveau pour mener des projets de réalité augmentée ?

    Encore une fois, tout dépend du projet. S’il y a matière à utiliser de la réalité augmentée, il faut le faire. Auquel cas il faut évidemment se former et faire de la veille sur le sujet. Mais les applications de réalité augmentée, en soi, ne demandent pas beaucoup de compétences informatiques. Certes, on peut développer ou faire développer des applications spécifiques mobilisant des compétences en programmation, mais il est également possible d’utiliser des solutions clefs en main avec des interfaces comparables à celles de systèmes de gestion de contenu (CMS), d’ajouter des tags de contenus via des navigateurs spécialisés comme Junaio, Wikitude ou Layar, d’insérer des vidéos via Aurasma, sans que cela apparaisse trop coûteux ni compliqué. En tout cas, rien qui soit hors de portée technique d’un bibliothécaire. En revanche, cela suppose beaucoup de curiosité, d’intérêt et d’ouverture d’esprit pour imaginer des offres pouvant s’appuyer sur ces nouvelles technologies. Pour le reste, les professionnels peuvent s’appuyer sur leurs compétences propres de médiation numérique afin d’apporter le service le plus efficace aux usagers qu’ils ont l’habitude de servir.  


    + repères 

    Mini boîte à outils

    Junaio : société allemande Metaio rachetée par Apple (fermeture annoncée du service le 15 décembre 2015, pas d’information sur son avenir) ; plateforme mobile de réalité augmentée.
    → www.junaio.com

    Wikitude : société allemande ; outils de réalité augmentée pour smartphones, tablettes et lunettes intelligentes ; version d’essai gratuite ; serait entouré d’une communauté de 50 000 développeurs.
    → www.wikitude.com

    Layar : société implantée à Amsterdam, Pays-Bas, appartenant au groupe Blippar, Londres ; navigateur de réalité augmentée mobile et d’« impression interactive », avec plateforme de développement ; payant.
    → www.layar.com

    Aurasma : appartient à Hewlett-Packard (technologie Autonomy) ; plateforme de services de réalité augmentée pour appareils portables ; payant.
    → www.aurasma.com

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