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Bibliothèques et tiers-lieux : un futur en commun

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    Un atelier cuisine organisé à la médiathèque Estaminet de Grenay (Pas-de-Calais), qui se définit comme le « troisième lieu de la ville ». Crédit : médiathèque Estaminet de Grenay
  • Ni temple du savoir ni simple équipement culturel : la bibliothèque de demain poursuivra sa réinvention en tiers-lieu. Un modèle qui oblige à repenser leur rôle et leur gouvernance pour créer un espace vivant, collaboratif, façonné par ses usagers et par les enjeux du territoire.

    archimag_385_tendances_futur_des_bibliotheques-1_1_page-0001.jpgenlightenedCET ARTICLE A INITIALEMENT ÉTÉ PUBLIÉ DANS ARCHIMAG N°385

    Sommaire : 

    Dossier : Bibliothèques : les tendances qui pourraient transformer leur futur
    Ce que l’IA peut apporter aux bibliothécaires
    La médiation en mode IA, mais sous conditions
    Lutte contre la désinformation : les bibliothécaires à l’avant-poste
    Les bibliothèques au temps des compressions budgétaires
    S’engager pour un avenir écologique
    Inclusion et accessibilité en bibliothèque : vers une démarche active
    - Bibliothèques et tiers-lieux : un futur en commun

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    Certes, cela fait déjà près de vingt ans que le modèle de bibliothèque "troisième lieu" ou "tiers lieu" se fait une place dans notre paysage culturel francophone. Mais au regard du besoin croissant de liens communautaires et d’espaces de partage, la bibliothèque pourrait-elle devenir le cœur battant du lien social ? Loin de l’image figée de temple du savoir où le silence et le dépôt de livres sont rois, certaines médiathèques et bibliothèques se sont déjà réinventées en véritables tiers-lieux vivants et inclusifs où se croisent les connaissances, les générations et les usages.

    À l’avant-garde de cette mutation, le groupe de travail "médiathèques tiers-lieux" de l’Association nationale des tiers-lieux, dont Angélique Robert et Aurélie Bertrand sont référentes bénévoles (aux côtés de Mathilde Servet). Cette structure fédère, accompagne et structure le mouvement des tiers-lieux en France dans toute leur diversité : espaces collaboratifs, lieux d’expérimentation, d’engagement citoyen ou d’innovation sociale. Dans un contexte de fragilisation de leur modèle traditionnel, les bibliothèques sont appelées à repenser leurs fondations pour survivre et, surtout, pour redevenir indispensables dans la vie locale.

    Lire aussi : Nicolas Beudon, innovation et inspiration pour les bibliothèques

    Le sur-mesure du service public

    Nés en marge des institutions, les tiers-lieux (notion plus actuelle que celle de "troisième lieu") sont des espaces vivants, collaboratifs, ancrés localement et portés par leurs usagers, dont la philosophie repose sur cinq principes : proximité, valeurs partagées, communauté, démocratie contributive et innovation. "S’il existait un guide pour construire un tiers-lieu, il recommanderait de commencer par définir les valeurs partagées et le sens collectif du projet", explique Aurélie Bertrand.

    Ces lieux ne se définissent donc pas par leur forme, mais par leur dynamique d’action collective, leur capacité à faire émerger des réponses locales à des défis contemporains : fracture sociale, isolement, transformation des services publics, etc. "C’est un sur-mesure permanent", insiste-t-elle. "Il faut accepter l’incertitude". À ce titre, les bibliothèques qui embrassent cette posture deviennent des terrains fertiles pour réinventer le lien social et la citoyenneté au quotidien.

    bibliotheque-tiers-lieux-futur-commun_aurelie_bertrand.jpgAvec humour, Aurélie Bertrand se définit comme une "bibliothécaire pure souche". Responsable du centre de lecture publique pour Savoie et Haute-Savoie Biblio, elle a aussi piloté un tiers-lieu culturel municipal à Annemasse, également en Haute-Savoie. Son engagement s’est forgé autour des questions de posture, de participation et de gouvernance partagée : "ce métier m’avait attirée pour ses valeurs de démocratie et d’égalité, mais, sur le terrain, tout reste vertical", explique-t-elle. "Une fois qu’on a goûté au modèle des tiers-lieux, il est difficile de revenir en arrière".

    De son côté, avant de devenir facilitatrice indépendante, Angélique Robert a été coordinatrice de réseaux de lecture publique, médiatrice culturelle et a toujours œuvré pour l’engagement des publics. Elle défend une vision coconstructive du service public qui privilégie une approche "faire avec" plutôt que "faire pour" les publics.bibliotheque-tiers-lieux-futur-commun_angelique_robert.jpeg

    Leur mission au sein de l’association ? Explorer ce que les bibliothèques peuvent apprendre des tiers-lieux et, surtout, en quoi elles en sont déjà, souvent sans le savoir. Aux côtés d’une quarantaine d’autres professionnels engagés, elles ont rédigé une feuille de route pour aider les bibliothèques à adopter cette culture. Mais, comme le rappelle Angélique Robert, "le collectif aurait besoin d’un salarié pour animer le réseau. Même avec passion, on ne peut pas reposer uniquement sur du bénévolat".

    Lire aussi : 3 axes pour transformer et améliorer les bibliothèques

    La mutation des bibliothèques ?

    Comme le souligne le docteur en sciences du territoire Raphaël Besson à l’issue d’une enquête sur l’émergence de nouveaux types de bibliothèques territoriales réalisée en 2024 dans le cadre du programme de recherche national de la Bibliothèque publique d’information (BPI), les bibliothèques tendent à s’éloigner d’une "image d’Épinal silencieuse, voire sacrée", pour développer de nouveaux "espaces conviviaux et ludiques pour attirer une diversité d’usagers".

    Ces analyses révèlent une convergence entre dynamiques conjoncturelles et mutations structurelles : les réformes territoriales poussent les bibliothèques à fonctionner en réseau ; la baisse de fréquentation questionne leurs pratiques ; et les enjeux de gouvernance, de financement ou encore de droits culturels invitent à de nouveaux positionnements.

    Le développement de cette culture tiers-lieux nécessite de repenser la structure organisationnelle et stratégique des bibliothèques. "Il faut surtout repenser nos fonctionnements en réseau, avec quarante ou cinquante personnes", poursuit Aurélie Bertrand.

    Pour accompagner ce changement, les deux intervenantes proposent des méthodes concrètes, comme ces ateliers menés en petits groupes pour définir des valeurs partagées : "nous posons les bases d’un projet commun en une heure trente. Malgré le scepticisme, cette étape reste toujours constructive". Mais adopter cette posture demande des outils : "avoir une idée ne suffit pas, il faut savoir animer un collectif". D’où l’enjeu de la formation, souvent absente, ou celui de chercher hors des cadres institutionnels. Pour l’avenir, elles plaident pour une hybridation des compétences, l’intégration de nouveaux profils et un travail étroit avec les habitants.

    Aspirations et réalités

    Aurélie Bertrand et Angélique Robert soulignent un paradoxe fréquent : certaines structures se revendiquent tiers-lieux sans en incarner les valeurs, tandis que des bibliothèques modestes, très investies localement, fonctionnent en tiers-lieux sans en avoir la prétention ni même connaître le terme. Et si le modèle des tiers-lieux inspire, il reste parfois mal compris, notamment de la part des décideurs publics, qui attendent parfois des résultats immédiats sans toujours fournir les moyens correspondants. D’autres peinent à reconnaître la légitimité de ce type de bibliothèques.

    Dans le cadre d’un projet de renaissance villageoise en Savoie, Aurélie Bertrand a accompagné trois habitantes désireuses de réouvrir leur bibliothèque locale et a proposé des méthodes issues de l’intelligence collective : "nous avons réfléchi ensemble à comment impliquer les autres". Concernant l’espace de 50 m², celui-ci a été repensé en dédiant la moitié à l’accueil-café pour créer du lien avant tout. Et le projet fut une vraie réussite : 50 % de la population y est aujourd’hui active, une nouvelle gouvernance citoyenne émerge, et des effets boule-de-neige se déploient dans tout le village dans une dynamique communautaire.

    Cet exemple est saisissant pour comprendre les possibilités d’initiatives qui s’ouvrent à ces établissements, qui sont dès lors en mesure d’adapter et de façonner leurs services selon certaines problématiques, comme celle des horaires d’ouverture.


    Utopie 2050

    Le rêve d’Aurélie Bertrand et d’Angélique Robert : les bibliothèques de demain doivent "faire du public leur idéal" et se concevoir comme des organismes en constante évolution, intégrées dans un écosystème qui embrasse le changement et s’affranchit du modèle traditionnel centré sur la politique documentaire.
     

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