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Hôpitaux : la dématérialisation en ordre dispersé

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    Caroline Buscal : "il n’est pas possible d’inventer une façon de traiter l’information totalement différenciée d’un hôpital à l’autre". (kreg.steppe via Visualhunt.com / CC BY-NC-SA)
  • Sommaire du dossier :

    Entretien avec Caroline Buscal, consultante experte spécialiste de la gouvernance de l’information chez Serda Conseil, sur la dématérialisation des hôpitaux français.

    Où en sont les hôpitaux français dans le domaine de la dématérialisation ?

    À ce jour, on note deux grands axes d’entrée dans la dématérialisation. Le premier est un axe administratif qui recouvre la chaîne de facturation financière à travers le protocole PESV2, la recherche d’économie, la rationalisation et la réduction des délais de remboursement. La majorité des hôpitaux s’est engagée sur cet axe et est en passe de parvenir à de bons résultats. 

    Le deuxième axe d’entrée concerne l’archivage médical et notamment le dossier du patient dans toute sa complexité : résultats de laboratoire, radiographies, documents par spécialités médicales, correspondance... Cet axe est moins avancé que le premier. Mais c’est aussi celui qui est identifié comme étant le plus à même de créer de la valeur ajoutée.

    Les hôpitaux doivent-ils gérer un double flux de documents papier et de documents nativement numériques ?

    En effet. Le flux de documents papier est produit, entre autres, par le patient qui vient à l’hôpital avec des documents physiques comme une lettre de médecin ou des résultats d’examen. Dans le même temps, le DPI (dossier patient informatique) contient de nombreuses informations numériques : dossiers de radiographies, résultats de laboratoires, passages du patient... La difficulté est d’associer ces deux flux. Les établissements hospitaliers ont des difficultés à créer un tout cohérent et accessible à partir de différents ensembles d’informations. 

    Quels sont les métiers les plus impactés par la dématérialisation ?

    Les informaticiens et les archivistes sont certes impactés par la dématérialisation, mais, au final, la population la plus impactée est celle des équipes soignantes (médecins, infirmiers, kinésithérapeutes...) ainsi que les secrétariats médicaux. Le secrétariat médical est en effet souvent au cœur de l’articulation entre les équipes soignantes et les archivistes. De plus, ce sont les secrétaires médicales qui doivent numériser les documents physiques apportés par les patients.

    Imaginez un important CHU (centre hospitalier universitaire) de Strasbourg, Bordeaux ou Lille : ce sont près de 650 personnes qui sont impactées par la dématérialisation ! Cela implique un vrai changement dans les pratiques quotidiennes des équipes de santé.

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    Y a-t-il une injonction du ministère de la Santé pour inciter les hôpitaux à la dématérialisation ?

    L’Anap (Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux) donne des orientations et fournit des bonnes pratiques. Il y a donc une volonté institutionnelle d’aller dans ce sens. Mais, dans la réalité, chaque situation est particulière. Je suis frappée de constater que 

    les hôpitaux s’observent beaucoup les uns les autres afin de comparer leurs pratiques et partager leurs expériences. Ce partage d’expérience est une réaction plutôt saine.

    Quelle est la législation en matière d’archives médicales ?

    Cette législation est bicéphale. Elle relève d’abord du Code du patrimoine et des agréments délivrés par le ministère de la Culture. Elle relève ensuite de la législation spécifique du domaine de la santé et du Code de la santé publique. Ce dernier décrit très précisément ce que le dossier médical doit contenir. Il fournit une ossature a minima des éléments composant le dossier médical. Il n’est pas possible d’inventer une façon de traiter l’information totalement différenciée d’un hôpital à l’autre. 

    Il existe également le fameux décret du 4 janvier 2006 sur l’hébergement des données de santé. Ce document a fait couler beaucoup d’encre chez les archivistes et dans les hôpitaux puisque l’un de ses articles a révisé la durée de conservation du dossier médical. Cette durée de conservation a été harmonisée et fixée à 20 ans à la date du dernier passage du patient. Auparavant, cette durée de conservation était extrêmement diversifiée et dépendait des pathologies ! Mais comment évaluer le dernier passage du patient ? S’agit-il du dernier passage en consultation ? S’agit-il du dernier passage en hospitalisation ? Aujourd’hui, il existe une vraie difficulté dans la traçabilité. L’ossature à 20 ans interroge un certain nombre d’établissements hospitaliers qui trouvent ce délai globalement court. D’autant plus qu’il existe une obligation d’obtenir l’accord de la commission médicale d’établissement avant de détruire un dossier médical. Il faut donc une double autorisation : celle des médecins et celles des archives publiques. À ce stade, les archives départementales peuvent recommander un versement aux archives définitives d’un échantillon de dossiers. La mise en œuvre de la législation est donc complexe.

    Les fonctions archivage et documentaires des solutions actuelles sont-elles bien assurées ?

    Le dossier médical du patient sera de plus en plus numérique et composé de fichiers nativement numériques. Nous allons donc nous retrouver avec des systèmes d’information qui ressembleront à un assemblage de briques. La première brique est composée du DPI qui est l’outil gérant tous les passages du patient. Mais cet outil ne dispose pas de fonctions d’ECM, de Ged et d’archivage électronique. Il s’agit plutôt d’une base de données extrêmement sécurisée, très structurée en termes d’accès et qui respecte les règles du secret médical. Cet outil n’a pas vocation à avoir des fonctions documentaires. Les fonctions de recherche et d’archivage électronique à valeur probante ne se trouvent clairement pas dans ces outils.

    Soit il faut enrichir les outils existants, ce qui ne semble pas être l’axe privilégié par les éditeurs de logiciels. Soit il faut ajouter à cet outil une brique d’ECM dotée d’importantes fonctions de stockage. À cet égard, on voit des acteurs comme Hitachi se pencher sur le sujet. Cet ajout entraînera de nombreuses améliorations : archivage à valeur probante, fonctions de cycle de vie du document, fonctions de records management, fonctions de recherche...

    Face aux enjeux de la dématérialisation en milieu hospitalier, quelle est la politique des éditeurs de logiciels ?

    L’évolution actuelle du marché fait apparaître un début de rapprochement des éditeurs de solutions de dossiers patient informatique et des éditeurs de Ged, ainsi que des fabricants de solutions de stockage. Les éditeurs, qu’ils appartiennent à l’open source ou qu’ils vendent des solutions propriétaires, ont bien compris qu’il y a un gisement potentiel tout à fait intéressant. Mais les volumétries à traiter sont très importantes, car un CHU héberge entre 40 et 60 kilomètres d’archives médicales, sans parler des archives administratives ! Il faut nécessairement des capacités de stockage importantes et des fonctions de recherche performantes. Pour les éditeurs, ce marché est donc intéressant, même s’il reste un marché de niche organisé autour de quelques pôles de santé. Par ailleurs, les hôpitaux publics sont confrontés à des restrictions budgétaires, ce qui explique que les projets avancent à petits pas.

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    L’e-santé n’a plus rien d’imaginaire et devient une réalité non seulement pour les malades, mais aussi pour les médecins et les établissements. Côté dématérialisation, beaucoup est fait, mais reste aussi à faire tant pour le dossier patient que pour le dossier administratif.
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