Zoom sur l'évolution des compétences demandées aux professionnels de la gestion de l'information. Dans le contexte bouleversant de la transformation numérique, entre métamorphose permanente et indispensable transversalité, les métiers de la documentation ne cessent de se réinventer.
6,9 sur 10. C'est la note moyenne attribuée par les professionnels de la gestion de l'information pour estimer la confiance qu'ils accordent en l'avenir de leur métier. En tête de leurs préoccupations, la transformation numérique (31 %) et la faible reconnaissance de leur valeur ajoutée (30 %) devancent de loin le contexte économique (21 %) et la réorganisation interne (10 %).
Ce sont les résultats de l'enquête Métiers et compétences menée par l'Observatoire de l'emploi d'Archimag. Des chiffres prouvant à quel point la révolution digitale a impacté le quotidien des professionnels de l'information, transformant les attentes des recruteurs et donc les compétences requises pour satisfaire leur demande.
Des data...
Les besoins des entreprises semblent s'articuler aujourd'hui autour de deux tendances fortes conditionnant l'évolution nécessaire des professionnels de l'information. Les organisations ont d'abord un grand besoin d'analyse de leurs contenus et de leurs données, aujourd'hui décisives pour une prise de décision optimale.
"Les professionnels sont amenés à davantage rentrer dans les contenus, confirme Véronique Mesguich, coprésidente de l'Association des professionnels de l'information et de la documentation (ADBS) ; car la simple description ne suffit plus. Ils doivent aujourd'hui les extraire, les analyser et produire des livrables afin de les rendre digestes et donc utilisables".
Ce que confirme Ghislaine Chartron, directrice de l'Institut national des sciences et techniques de la documentation (INTD-Cnam) :
"Nous voyons des sujets émerger qui sont directement liés à l'environnement numérique, explique-t-elle ; bien qu'encore plus ou moins marginaux, les thématiques d'open data et de data visualisation se dégagent très fortement".
Selon David Guillemin, enseignant et responsable du master 2 esDoc à l'université de Poitiers, les professionnels doivent impérativement s'emparer des technologies de l'informatique et du web sémantique afin de se positionner comme étant les meilleurs gestionnaires possibles des gisements informatiques.
"La datavisualisation et la cartographie de l'information sont des compétences auxquelles les formations se doivent de préparer les étudiants, explique-t-il, car de nombreux postes émergent aujourd'hui autour de ces thématiques".
Sans oublier l'indispensable interopérabilité de l'information produite par les professionnels avec les technologies du web, véritable enjeu de leur réexploitation.
... à la médiation
D'autre part, l'animation de communautés apparaît aujourd'hui comme une préoccupation majeure des recruteurs :
"Il ne s'agit pas que de community management, précise Véronique Mesguich ; en effet, le monde de l'entreprise se sent aujourd'hui quelque peu démuni face à l'augmentation de ses besoins en terme de partage, de circulation et de protection de l'information, et ce même au sein de leurs organisations".
Un sujet dont les formations se sont également emparées :
"Aujourd'hui, les professionnels sont de plus en plus amenés à produire de l'information afin de la partager, poursuit Ghislaine Chartron, de l'INTD ; par exemple, la création de portails documentaires concerne de nombreuses organisations et nous nous devons d'y préparer nos étudiants".
La médiation humaine et numérique semble ainsi devenue un enjeu incontournable auquel les étudiants doivent se former :
"Cette médiation nécessite de mieux connaître les destinataires de l'information mise à leur disposition par nos professionnels, poursuit David Guillemin ; nos étudiants doivent donc également développer des compétences en sciences humaines (pour la réalisation d'enquêtes et d'entretiens), des compétences en communication (afin de savoir comment utiliser l'information produite), mais aussi maîtriser les technologies du web (pour la confection d'interfaces)".
Des parcours diversifiés
Si certaines spécialités gardent le vent en poupe, comme...
la veille ou la Ged, de telles demandes de la part des entreprises impliquent une nécessaire transversalité des compétences des professionnels, diversifiant leurs parcours. Elles sont désormais à la recherche de candidats polyvalents, capables de se positionner sur des missions transversales, propres à leur organisation.
Ce que confirme le Baromètre de l'emploi établi par l'Observatoire Archimag, ayant identifié les exigences des recruteurs : rigueur, organisation et communication sont les savoir-être les plus recherchés tandis que la gestion de projet, la capacité de synthèse et l’esprit d’initiative sont les savoir-faire les plus prisés.
"Nos métiers se transforment énormément et sont parfois même absorbés par d'autres, confirme Ghislaine Chartron ; au point que l'on s'éloigne petit à petit à la notion de métier, se focalisant davantage sur les compétences".
Une tendance dans laquelle se reconnaît l'ADBS, qui préfère aujourd'hui l'intitulé "professionnel de l'information" à celui de "documentaliste", employé par commodité, mais ne traduisant plus forcément la réalité de l'environnement de l'entreprise.
"Certes, il s'agit du socle de l'ADBS, explique Anne-Marie Libmann, coprésidente de l'association ; mais il s'agit d'un terme ambigu que chacun peut interpréter à sa façon, nos métiers évoluant sans cesse jusqu'à parfois se subdiviser".
Au point de voir émerger de nouveaux profils hybrides chez les professionnels ; une tendance observée parmi les jeunes diplômés du master 2 esDoc de l'université de Poitiers :
"Nos étudiants trouvent tous du travail dès la première année qui suit notre formation ; et nous avons constaté que 20 % d'entre eux occupent des postes hybrides sur des projets transversaux, au croisement par exemple de la documentation et du web ou des archives".
"internet a brouillé les pistes"
Selon l'Observatoire Archimag, près de 90 % des professionnels perçoivent la transformation numérique comme une opportunité pour renforcer leur rôle et leur utilité en tant que managers de l'information. Et loin de se reposer sur leurs lauriers, ils sont 64 % à avoir suivi une formation dans le cadre du suivi de l'évolution de leur métier (à leur demande, dans 88 % des cas). 92 % des individus estiment d'ailleurs avoir besoin d'acquérir de nouvelles compétences au cours des deux prochaines années.
Mais si cette révolution semble avoir bousculé (dans le bon sens !) les compétences demandées aux professionnels, elle pourrait tout de même avoir rendu plus difficile la promotion de leurs profils. D'ailleurs, l'enquête permet d'établir un lien direct entre le manque de reconnaissance des métiers des managers de l’information (30 % s'en plaignent) et la baisse des budgets consacrés à leurs services pour expliquer la réduction des effectifs dans ces domaines. Évoquant même une véritable "souffrance" de la part des professionnels, l'ADBS confirme les difficultés que certains éprouvent à valoriser leur rôle d'expert :
"Internet a totalement brouillé les pistes, confirme Anne-Marie Libmann ; grâce aux outils numériques, beaucoup pensent qu'il est aujourd'hui possible de se passer de spécialistes".
L'information étant aujourd'hui un enjeu de pouvoir et une grande source de richesse, il est donc primordial que les professionnels deviennent plus offensifs afin de valoriser et faire la promotion auprès de leur organisation, presque commercialement, de la grande variété de leurs compétences.
La plupart des métiers de demain n'existant pas encore et les besoins des entreprises se transformant même d'une année sur l'autre, la transversalité et la faculté d'adaptation apparaissent comme des atouts décisifs pour les professionnels de demain. Cela tombe bien car, au regard des vagues successives de révolutions technologiques qu'ont connues ces trente dernières années, s'il est un domaine riche d'une grande capacité à se réinventer, c'est bien la gestion de l'information.