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De longues années ont passé depuis les luttes sur la liberté du droit de copie pour les professionnels de l’information-documentation qui — loin d’être des « photocopilleurs » comme le prétendait le Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC) — sont en fait des « informacteurs », pour reprendre le slogan qu’avait adopté l’éphémère commission « droit de copie » de l’Association des professionnels de l’information et de la documentation (ABDS), au milieu des années 1990.
Le CFC exerçant toujours ses activités, nous continuons d’expliquer dans nos formations ce qu’est le CFC ainsi que les nombreuses failles juridiques dont il est entaché. Nous reprenons régulièrement nos analyses juridiques et trouvons de nouvelles failles. Nous avons dénoncé ces failles dès 1987 et à plusieurs reprises.
I- Rappels sur le CFC
Le CFC, société de gestion collective — type Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) — a été créé pour percevoir des droits d’auteur dans les cas de « reproductions par reprographie ».
Née en juin 1984 sous le nom de Centre français du copyright, cette société groupait à l’origine exclusivement des éditeurs. Ils ont longtemps tenté péniblement de négocier avec des organismes diffuseurs de copies d’œuvres, principalement scientifiques et d’information : entreprises dotées d’un service de documentation ou organismes dont l’objet principal est la recherche scientifique (CNRS, Inserm…).
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À part de rares contrats dits emblématiques, le système de la licence contractuelle a donc périclité. Pour rappel, il existe dans le monde divers systèmes :
- licence contractuelle (négociation volontaire entre organisme collecteur et diffuseurs de copies d’œuvres d’auteurs) ;
- licence légale (une loi fixe l’obligation de payer des droits et en détermine les prix) ;
- licence obligatoire (une loi fait obligation aux diffuseurs d’œuvres d’auteurs de négocier avec l’organisme collecteur).
Le CFC impose une licence obligatoire
Devenu en mars 1991 Centre français d’exploitation du droit de copie — sur intervention du ministère de la francophonie — et stagnant avec la licence contractuelle, le CFC n’hésita pas à faire rédiger un projet de loi pour la mise en place d’une licence obligatoire.
Un grand professeur de droit d’auteur refusa de se prêter à une telle manipulation discutable de la loi, un jeune avocat se chargea de cette rédaction sur demande du CFC. Des fonctionnaires tout acquis aux intérêts des éditeurs au ministère de la Culture ont fait passer le texte au Parlement.
Ainsi est née la loi du 3 janvier 1995 sur la reproduction par reprographie. Cette loi prévoit la seule rémunération des auteurs pour les reproductions sur support papier de leurs œuvres. Article L. 122-10 alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle : « La reprographie s’entend de la reproduction sous forme de copie sur papier ou support assimilé par une technique photographique ou d’effet équivalent permettant une lecture directe ».
Une loi pour les copies 100 % papier
Le CFC n’a donc existence légale et ne détient le monopole de négociation que lorsque des œuvres sur support papier sont reproduites sur papier.
Le directeur juridique du CFC nous confirmait le fait que si l’œuvre est sur support numérique (sur internet, par exemple) et qu’elle est imprimée sur papier, ou si une œuvre sur papier est scannée, la loi ne s’applique pas et le CFC n’est pas légalement agréé pour percevoir des droits.
Le CFC simple mandataire pour le numérique
Devant l’explosion du numérique et la baisse des pratiques sur support papier, menaçant la raison d’être légale du CFC, l’organisme s’est tourné vers d’autres activités : la gestion mandatée des droits d’exploitation numérique.
Ainsi, nombre d’éditeurs ont confié au CFC un mandat de gestion non exclusif pour percevoir des droits d’auteur forfaitaires pour les exploitations numériques réalisées par des diffuseurs, spécialement dans le cadre des services documentaires et d’information.
Malgré des courriers prétendant le contraire, le CFC n’est donc pas agréé pour le numérique et il n’est donc pas obligatoire de négocier avec lui dans ce cadre.
II- Vous avez dit « droits d’auteur » ?
Le CFC se veut une société de gestion et de répartition de droits d’auteurs. Mais les auteurs eux-mêmes sont-ils effectivement rémunérés par les éditeurs ?
Des journalistes dépossédés de leurs droits d’auteurs principaux
Depuis la loi du 12 juin 2009, la situation des journalistes professionnels a changé. Les articles L. 131-35 et suivants du Code de la propriété intellectuelle prévoient la cession de plein droit des œuvres des journalistes professionnels au profit de leur employeur dans le cadre de l’exploitation normale de leurs articles (support papier et en ligne), sans autre rémunération que leur salaire.
En dehors du cadre principal de cette cession légale — violant déjà, rappelons-le, le principe intangible d’accord de l’auteur (voir notre article précité) —, il n’est prévu qu’une rémunération complémentaire et forfaitaire si celle-ci est prévue dans les accords collectifs de chaque éditeur de presse.
La question se pose donc de savoir pourquoi le CFC collecterait des droits d’auteurs pour des journalistes qui, par définition, sont dépossédés de la quasi-totalité de leurs droits.
Et les auteurs externes ?
Question encore plus troublante : nombre d’articles dans la grande presse sont rédigés par des auteurs externes, c’est-à-dire non professionnels : tribunes, éditos et autres articles de fond rédigés par des experts d’un domaine ou par des personnalités publiques, politiques ou autres.
Dans ce cas, les auteurs ne sont pratiquement jamais rémunérés. Proportion d’auteurs non rémunérés encore plus large dans la presse d’information professionnelle. Dans certains secteurs scientifiques comme la médecine, ce sont les auteurs qui paient pour être publiés.
Dans la plupart des revues d’information professionnelle, les auteurs sont bénévoles : même sans rémunération, l’auteur gagne en audience, pour ne pas dire en célébrité. Rares sont les revues professionnelles qui rémunèrent effectivement leurs auteurs externes. C’est le cas notamment des grandes revues juridiques.
La question se pose donc à nouveau de savoir pourquoi le CFC collecterait des droits d’auteurs pour des auteurs non rémunérés.
Un droit d’éditeurs ?
En droit français, il n’existe pas de droit voisin des éditeurs ; la profession s’y est toujours opposée. À notre question sur le sujet lors d’une journée d’étude à l’Institut national des sciences et techniques de la documentation (INTD) dans les années 1990, le premier président du CFC nous répondait publiquement : « Ma conviction est qu’il faut rester sur les grands principes.
Lire aussi : Droit d'auteur : un salarié ou un agent public est-il propriétaire de son oeuvre ?
Et les grands principes, c’est le droit d’auteur ». À notre question suivante : « Sur quoi étayez-vous votre conviction ? », il asséna cet argument hautement élaboré juridiquement : « Une conviction ne se démontre pas ! ».
Réserve faite du récent droit voisin des éditeurs — créé pour la seule rémunération des plateformes d’actualité sur internet —, nous restons en France sur le terrain du seul droit d’auteur. C’est pourtant à un droit d’éditeur que ressemble ce système juridique dans lequel on se soucie assez peu de la rémunération finale de l’auteur, mais surtout de reverser des soi-disant « droits d’auteurs » aux éditeurs de presse.
De deux choses l’une : ou les auteurs sont effectivement tous rémunérés sur la base des redevances de droits d’auteurs collectées par le CFC, ou ce n’est pratiquement jamais le cas.
Des obstacles à la rémunération effective des auteurs
Les conventions passées par le CFC ne prévoient jamais que le signataire déclare quels auteurs ont été copiés. La plupart des déclarations de copies ne détaillent ni les titres de revues exploités, ni évidemment le volume exploité pour chaque titre, ni même les volumes exacts de copies réalisées.
Même si la loi permet dans certains cas une rémunération forfaitaire, sur quelle base un forfait équitable serait-il calculé pour la rémunération personnelle des auteurs ? On retrouve là les mêmes critiques que celles adressées à la Sacem pour la musique : le plus gros des droits est reversé aux compositeurs les plus édités, par forcément les plus joués.
Tous ces éléments étonnants sont autant d’arguments à mettre sur la table dans la cadre d’une éventuelle négociation avec le CFC. Ce sera l’objet d’un prochain article.
A retenir
Le CFC est chargé de rémunérer les éditeurs de presse qui, dans la plupart des cas, ne répercutent pas les « droits d’auteur » collectés et reversés à raison de copies d’articles réalisées dans les entreprises.
Outre le fait que la loi sur la reproduction par reprographie viole le principe de l’accord de l’auteur, droit intangible selon la Cour de justice de l’Union européenne, les failles juridiques ne manquent pas pour fragiliser la légitimité du CFC.