Publicité

Résister à la violence technologique peut devenir un projet politique

  • resister_violencetechno.jpg

    resistance-technologie-Mickael-Berrebi
    "Une résistance ne fonctionne que s’il y a passage au collectif", estime Mickaël Berrebi. "Et pour qu’il y ait passage au collectif, il faut qu’il y ait un projet qui s’inscrive dans la durée". (Freepik)
  • Mickaël Berrebi est économiste et membre de l’Institut des actuaires. Avec Jean-Hervé Lorenzi et Pierre Dockès, il a publié « La nouvelle résistance, face à la violence technologique » en 2019. Considérant que la résistance a toujours été le moteur de l'histoire humaine, il estime que les foyers de résistance à la violence technologique devront réussir un passage au collectif pour devenir des projets politiques. Rencontre.

    Mickael-BerrebiQu’entendez-vous par « violence technologique », la thématique qui est au centre de votre livre ?

    Avec Jean-Hervé Lorenzi, nous avions déjà évoqué la notion de violence dans un livre paru en 2014 (1). Notre objectif était à l’époque de décrire, sur le terrain purement économique, les contraintes qui façonneront les quinze prochaines années et quelles violences pourraient en découler. On parlait alors de violences économique, commerciale et physique et nous avions alors aussi largement évoqué la question du progrès technologique.

    >Lire aussi : Le droit à la déconnexion numérique pour (presque) tous !

    Parler de la violence technologique était pour nous la continuité de ces violences détaillées il y a cinq ans. Les « big techs » — et leurs patrons souvent très charismatiques — se sont progressivement substitués au politique en imposant leur modèle et leur projet de société. Et avec eux, différentes formes d’oppression technologique ont émergé. Dans ce nouveau livre, nous en avons listé six contre lesquelles émergent des mouvements d’opposition partout dans le monde.

    Quelles sont ces six violences technologiques ?

    La première à laquelle on pense forcément est celle qui concerne les pratiques de surveillance. Vient ensuite celle que nous avons appelée la déification de la technologie, c’est-à-dire ce sentiment que l’on transfère du sacré dans la technologie. Puis nous avons identifié la virtualisation du monde, ou comment l’on passe du monde réel à un monde tout digital, sans alternative possible. Nous évoquons ensuite la notion d’abandon politique concernant des sujets tels que la fiscalité ou l’abus de position dominante, sujets sur lesquels l’État semble laisser faire les grandes entreprises technologiques et qui seront certainement réglés dans un avenir plus ou moins proche. Arrivent ensuite la question des fake news et de la surcharge informationnelle. Et enfin la peur historique de l’homme par rapport à son remplacement potentiel par la machine.

    >Lire aussi : Le défi des communes en 2020 : faire rimer dématérialisation avec inclusion

    La notion de peur est très fréquente dans ces violences

    Oui. Que l’on parle de fake news ou de fiscalité, la crainte est à tous les niveaux. Certains sujets sont plutôt économiques, d’autres informationnels ou philosophiques, mais ils s’enchevêtrent tous plus ou moins. C’est lorsque nous les avons segmentés en six formes d’oppression différentes que nous avons découvert la multitude de combats qui sont menés aujourd’hui.

    La question démographique semble centrale dans votre ouvrage. Celle-ci créerait selon vous une rupture économique, politique et sociale. Quel est le lien entre démographie et innovation ?

    La démographie et le vieillissement de la population sont pour nous des enjeux majeurs qui ont été trop souvent placés au second plan. Or, jusqu’à présent, on n’avait encore jamais vécu dans une société du vieillissement, alors que ce phénomène suppose plusieurs impacts majeurs. Bien sûr, il y a les conséquences tangibles sur la protection sociale : hausse des coûts liés à la santé, à la retraite, à la dépendance…

    Mais il y a également d’autres effets : en premier lieu l’aversion au risque (une société qui vieillit est une société qui va concentrer beaucoup d’épargne dans les mains des seniors, mais qui sera moins encline à investir dans des projets longs et risqués), et ensuite tout ce qui est lié à l’innovation (une société pleine de jeunesse sera sans doute plus prompte à innover qu’une société vieillissante).

    >Lire aussi : Cédric O annonce le déploiement du Pass Numérique

    Nous avons donc commencé ce livre en soulevant cette question du vieillissement démographique, qui rend l’atmosphère incertaine et occupe nos politiques autour de la dette et de la protection sociale, et de la rupture technologique qu’il faudra accompagner de plus en plus et qui laisse entrevoir des crispations dans la société et des craintes de violences technologiques.

    Venons-en à la résistance, qui est l’objet du livre. Pourquoi l’avoir qualifiée de « nouvelle » dans le titre ?

    C’est parce que face à la nouvelle vague d’oppressions que j’évoquais plus haut, nous avons essayé de redéfinir ce qu’est une résistance. Et lors de nos recherches, nous avons identifié qu’il y a différentes nouvelles formes de résistance. Mais si nous avons choisi de la mettre au singulier, c’est parce que tous ces foyers de résistance devront nécessairement réussir, un jour, un passage au collectif. Autrement dit, à terme, il s’agira bien d’une unique nouvelle résistance.

    Comment avez-vous procédé pour identifier ces foyers de résistance ?

    Pour faire le tri parmi tous les exemples et éléments qui pouvaient incarner une forme de résistance, nous nous sommes appuyés sur le modèle extrêmement simple développé par l’économiste Albert Hirshman dans les années 1960. Celui-ci avait modélisé les différentes réactions des consommateurs lorsqu’ils ne sont plus satisfaits par les biens et services proposés par une entreprise : la défection ou « exit » (on arrête d’acheter et on va voir ailleurs), la prise de parole ou « voice » (on le fait savoir individuellement, en s’adressant au vendeur ou au patron, ou collectivement par l’intermédiaire d’actions de classes ou autre) et enfin la loyauté ou « loyalty » (on reste fidèle en raison des coûts de sortie trop élevés que défection ou prise de parole supposeraient).

    >Lire aussi : Achat de livres sur internet : leslibraires.fr, une alternative de poids à Amazon

    Finalement, ces trois options attendent à terme une amélioration du service des entreprises visées et les consommateurs sont donc les complices inavoués de leur bonne santé (si les consommateurs partent, le chiffre d’affaire s’amenuisera). Avec les résistances contre les « big tech » et autres formes d’oppression technologique, le but n’est pas que l’entreprise aille mieux ; le but est de proposer une alternative.

    Pouvez-vous nous donner des exemples de résistance que vous avez identifiés ?

    Je peux vous en donner quelques-uns, mais nous en détaillons beaucoup dans le livre. Par exemple, en ce qui concerne la surveillance, on peut bien sûr évoquer toutes les alternatives proposées aux internautes, présentes à tous les niveaux du parcours utilisateur, depuis leurs terminaux en passant par leurs systèmes d’exploitation, ou par leurs moteurs de recherche via des entreprises privées qui tentent de transformer le modèle, ou via l’utilisation de logiciels libres.

    En ce qui concerne la déification, il nous fallait trouver une résistance portée par des défenseurs de valeurs humanistes qui estiment qu’aucune technologie ne pourra jamais se substituer à l’homme. La méditation en fait partie et elle répond en plus aux trois objectifs du transhumanisme, qui est l’aboutissement le plus extrême de la déification des technologies (meilleure gestion du stress donc meilleure résistance physique, meilleures capacités cognitives et allongement de la durée de vie).

    Pour la virtualisation du monde, on peut bien sûr évoquer les mouvements « slow tech » qui prônent de bonnes pratiques de la technologie (moments de déconnexion, etc.).

    >Lire aussi : Quand les collectivités passent au logiciel libre

    Comment faire pour que ces résistances individuelles et collectives ne soient plus « largement minoritaires », comme vous l’écrivez, mais majoritaires ?

    Une résistance ne fonctionne que s’il y a passage au collectif. Et pour qu’il y ait passage au collectif, il faut qu’il y ait un projet qui s’inscrive dans la durée. Mener un combat, ce n’est pas uniquement attaquer pour attaquer : il faut aussi proposer une alternative.

    Toutes les résistances que nous avons évoquées dans le livre s’inscrivent dans le long terme et peuvent faire l’objet de véritables projets politiques. On en est encore au stade où les gens s’émerveillent de ces différents foyers de résistance qui émergent tout juste. Mais ce n’est qu’une fois que le politique prendra les choses en main que les choses bougeront concrètement. C’est à ce moment-là que des « big techs », à moins qu’elles revoient leurs modèles économiques en profondeur, pourraient être démantelées. La résistance a finalement toujours été le moteur de l’histoire humaine.

    À lire sur Archimag
    Les podcasts d'Archimag
    Pour cet épisode spécial Documation, nous nous sommes penchés sur une autre grande tendance de l'année 2024 : la cybersécurité, et plus particulièrement la sécurité dans le domaine de la gestion des données. La protection des données contre les menaces internes et externes est non seulement cruciale pour garantir la confidentialité, l'intégrité et la disponibilité des données, mais aussi pour maintenir la confiance des clients. Julien Baudry, directeur du développement chez Doxallia, Christophe Bastard, directeur marketing chez Efalia, et Olivier Rajzman, directeur commercial de DocuWare France, nous apportent leurs éclairages sur le sujet.