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Anne Both : "Il y a clairement un mépris pour les archivistes !"

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    « La jeune génération d’archivistes a été recrutée, dans le service où j’étais, pour faire face à la révolution numérique » Anne Both. (Pixabay/creativesignature)
  • Anne Both est anthropologue et auteure de l’ouvrage « Le sens du temps, le quotidien d’un service d’archives départementales » (Éditions Anacharsis, 2017).

    Anne-BothPourquoi vous êtes-vous intéressée aux archivistes ?

    En fait, au départ, j’avais répondu à un appel d’offres du ministère de la Culture pour mener une enquête en anthropologie du travail au sein de ses locaux, en administration centrale. Pour diverses raisons, cela n’a pas pu se faire. Le chef de la mission ethnologique, Christian Hottin, archiviste et conservateur en chef du patrimoine m’avait alors suggéré de m’orienter vers les archives, ce que j’ai accepté, car je ne connaissais pas ce milieu. Un heureux concours de circonstances.

    Pourquoi ne pas citer le service d’archives départementales dans lequel vous avez enquêté ? 

    Pour plusieurs raisons. La première est propre à l’anthropologie et consiste à ne pas nommer les personnes pour les protéger. Ensuite pour éviter que le conseil départemental ait un droit de regard sur ce que j’ai écrit. En revanche, j’ai adressé à tous les archivistes dont j’ai fait le portrait l’extrait les concernant. Quant au service où a eu lieu l’enquête, je lui ai adressé un exemplaire, dédicacé à toute l’équipe. Mais il y a un tel niveau d’interconnaissance dans ce milieu, que le nom de la ville où a eu lieu ce terrain est en fait un secret de polichinelle.

    Avant cette enquête, quel rapport aviez-vous avec le monde des archives ?

    Je n’en avais aucun ! Je ne connaissais pas les méthodes de classement des archivistes, pas plus que celles des bibliothèques d’ailleurs. La découverte du monde des archives a donc été totale et exotique !

    Quel accueil les archivistes ont-ils réservé à l’anthropologue que vous êtes ?

    Avant d’arriver, j’avais adressé une fiche synthétique au directeur afin qu’il la fasse circuler dans son service. Il s’agissait d’un document très simple comprenant deux parties : la présentation de l’étude (l’ethnologie, le contexte, l’objet de la recherche, la méthode, la confidentialité et la restitution) et de ma personne (statut, âge, formation et enquêtes récentes). Y était précisé le fait que je n’étais ni le porte-parole des syndicats, ni celui de la direction.

    Avez-vous rencontré des réticences ?

    Il n’est pas toujours évident, surtout au début, de parler à quelqu’un qui prend des notes en permanence et qui photographie des choses que l’on n’a pas forcément envie de montrer : des tuyaux qui passent dans des dépôts par exemple... Les gens se demandent très légitimement ce que je suis en train d’écrire. Puis, progressivement, on apprend à se connaître. Mes interlocuteurs comprennent que tout m’intéresse, y compris ce qui leur semble être des détails anodins, et que je suis partante et disponible pour les suivre partout, y compris le week-end ou au café. 
    Certaines personnes sont très enthousiastes dès le début, d’autres plus en retrait, mais n’hésitent pas à revenir me voir pour me parler. Je pense que les archivistes étaient finalement contents qu’on s’intéresse enfin à eux.

    De quoi est fait le quotidien d’un service d’archives départementales ?

    Tout dépend du poste occupé. Le directeur des archives départementales est un conservateur qui est d’abord un directeur de service. À ce titre, il gère le budget et tous les problèmes d’équipement et de management ; s’il lui reste du temps, il fait de l’archivistique. 
    Le travail des archivistes est très étalé et fonctionne par rotation : ils doivent par exemple assurer une présence en salle de lecture plusieurs heures par semaine, puis se remettre à des tâches de classement. Les semaines se ressemblent terriblement et il n’y a pas d’urgences à traiter. C’est très différent de ce que j’ai pu constater, lors d’une autre enquête, dans une brigade de gendarmerie où il n’y a pas deux journées identiques. Le rapport au temps est également totalement différent. Un archiviste sait à peu près ce qu’il fera dans trois semaines. Ce métier ne génère ni incertitude, ni stress. Je ne crois d’ailleurs pas qu’on puisse l’exercer dans le stress et l’incertitude.

    Quels sont les parcours des archivistes que vous rencontrez ?

    À la tête d’un service départemental d’archives, on trouve toujours un conservateur, archiviste paléographe. C’est un haut fonctionnaire du ministère de la Culture. Ensuite, on trouve des profils variés : des diplômés en histoire, en archivistique ainsi que des agents, notamment dans la catégorie C, qui travaillaient auparavant dans des services très éloignés, comme la petite enfance ou la voirie, par exemple. Ce milieu se professionnalise de plus en plus. 

    Vous êtes-vous intéressée aux usagers et à leurs demandes ?

    Très peu, car l’objet de cette enquête portait avant tout sur ce qu’on ne voit pas : les coulisses, les dépôts, ce qu’il y a au-delà de la salle de lecture... Par ailleurs, les usagers sont relativement bien connus, car tous les ans, les services d’archives publics envoient leurs statistiques au ministère de la Culture, ce qui permet de savoir le nombre de documents communiqués aux lecteurs, la typologie des documents les plus demandés. En revanche, on ignore ce qu’il y a derrière...

    La relation archivistes-usagers vous a-t-elle intéressée ?

    Oui, car les archivistes que j’ai rencontrés ont un réel sens du service public. Ce qui les fait tenir, c’est la présence de personnes en salle de lecture. Les archivistes sont d’une grande disponibilité et d’une grande patience pour expliquer, par exemple, aux lecteurs, souvent des généalogistes retraités, comment consulter l’état civil sur le site internet. Ils ont également le sentiment d’œuvrer pour la conservation du patrimoine, en l’occurrence celui de leur département. Ils ont conscience qu’il y avait des archivistes avant eux et qu’il y en aura après. Par ailleurs, ils n’ont pas cette arrogance que l’on peut trouver parfois chez certaines personnes travaillant dans les musées.

    Les archivistes regrettent-ils d’être dans l’ombre ?

    Cela dépend des tempéraments. Certains sont contents d’être au contact avec le public en salle de lecture, d’autres préfèrent rester dans l’ombre. 

    Quel est l’impact du numérique sur les pratiques des archivistes ?

    La jeune génération d’archivistes a été recrutée, dans le service où j’étais, pour faire face à la révolution numérique : plans de numérisation, mise en ligne de documents, indexation collaborative... L’ancienne génération se rend compte qu’il faut se dépêcher et qu’elle est précipitée dans une urgence qu’elle ne connaissait pas et qui ne se justifie pas. Ces deux générations n’ont pas le même rapport au temps et ne font pas les mêmes usages des outils numériques. 

    Après deux mois en immersion dans un service d’archives, cela a-t-il changé quelque chose pour vous ?

    La fréquentation d’un service d’archives permet de saisir l’épaisseur historique et élargit la notion de temps. 

    Que vous inspire la notion d’archives essentielles évoquée dans un document de travail du ministère de la Culture ?

    Depuis longtemps, les archivistes travaillent avec des tableaux de gestion qui précisent ce qui doit être gardé et ce qui peut être détruit. Ils connaissent également les DUA (durée d’utilité administrative) qui fixent la durée pendant laquelle les documents archivés doivent être conservés. 

    Selon moi, le problème des archives est ailleurs. Parents pauvres des institutions patrimoniales, elles manquent cruellement de moyens, que ce soit pour embaucher du personnel comme pour acheter du matériel de conditionnement, par exemple. Des fonds en souffrance n’ont pas été classés depuis des décennies. D’autres devraient être restaurés, mais ne le sont pas. Ce que j’ai constaté dans le service départemental dans lequel j’ai mené cette recherche semble se répéter partout à l’exception peut-être des Archives nationales ou diplomatiques, deux grandes institutions mieux dotées. 

    Au niveau des recrutements ce n’est guère mieux. Les offres d’emploi qui circulent sur le réseau s’adressent à des candidats titulaires d’un master en archivistique avec une expérience de cinq ans pour un salaire dépassant à peine le Smic ! Il y a clairement un mépris pour les archivistes. 

    Êtes-vous toujours en contact avec les archivistes ?

    Bien sûr, notamment avec trois d’entre eux. Nous nous donnons régulièrement des nouvelles.

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    Commentaires (1)

    • Portrait de archivurba

      Bonjour, Suite à la parution de l’interview d’Anne Both sur les archivistes, permettez-moi de réagir à propos de l’incertitude et du stress. Chargé de la gestion et de la communication des archives d’urbanisme d'une commune nouvelle, je suis affecté principalement à la direction de l’urbanisme et secondairement au service des Archives municipales pour une phase transitoire de quelques mois. En dépit de ma longue expérience, j’ai dû affronter une période empreinte d’incertitude et de situations particulièrement stressantes : en effet, le regroupement des archives d’urbanisme a commencé en mars 2018, soit plus d’un an après la fusion administrative du 1er janvier 2017. A présent, il convient d’harmoniser les pratiques et de remettre de l’ordre dans les fonds de chaque commune historique. Par ailleurs, comme vous savez sans doute, les documents d’urbanisme sont fréquemment demandés et souvent dans l’urgence… Cela dépend donc des missions exercées et des fonds conservés aux Archives…

      juil 22, 2018
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