Publicité

@FallaitPasSuppr : l'archiviste masqué de Twitter est-il dans la légalité ?

  • fallaitpassuppr.jpg

    FallaitPasSuppr
    "Selon moi, le droit à l'oubli n'est pas compatible avec Internet tel qu'il est conçu. Il n'y a donc pas de débat possible sur ce sujet. Dès qu'un twittos poste publiquement un tweet, ce tweet demeure dans l'espace public", affirme @FallaitPasSuppr. (DR)
  • Le compte Twitter @FallaitPasSuppr laisse rarement indifférent. Fort de ses 47000 abonnés, celui qui exhume les tweets supprimés et les contenus gênants est adoré par certains, détesté par d'autres, et craint, parfois. Nous avons interrogé celui que certains surnomment le "vengeur masqué de Twitter" sur sa démarche ainsi que sur les reproches qui lui sont faits, puis nous sommes tournés vers une avocate spécialiste du droit du numérique afin d'en savoir plus sur le cadre légal de son activité.   

    Votre compte a été créé en décembre 2017. Comment l'idée vous est-elle venue ?

    L'idée de ce compte m'est venue assez récemment, en 2017. Je songeais à créer un "recueil de contenus supprimés" afin d'en laisser une trace quelque part sur Internet, un peu à la sauce "Web Archive" mais bien plus modestement. Les deux éléments déclencheurs ont été la découverte d'un Américain archivant tous les tweets (même ceux supprimés) de Donald Trump, que j'ai trouvé génial et utile. Ensuite il y a eu la double suppression de tweets par Antoine Griezmann en décembre 2017, contenant un blackface (1) puis des explications douteuses. C’était comme prétendre que "rien ne s’était passé".

    Quelle est votre motivation profonde, derrière ce compte ? 

    C'est un acte citoyen. Je suis un observateur vigilant qui suit l'action de certains personnages publics (souvent payés par nos impôts) sur les réseaux sociaux. Je pense que l'on peut trouver plus d'informations dans un seul tweet supprimé que dans 1 000 autres.

    Certaines suppressions révèlent une des faces cachées d'un twittos : une réaction "à chaud", un tweet sous le coup de la colère, de l'émotion, un tweet supprimé suite à des pressions... Parfois, la réaction du twittos après l'épinglage du message en dit même plus long que le contenu du tweet lui-même (mea culpa, débat, insultes, menaces, mauvaises foi, blocages...).

    Mon action met également en lumière les magnifiques retournements de vestes de certains politiques (très nombreux dans ma timeline), qui twittent souvent dans le sens du vent et qui peinent parfois à assumer leurs idées dans la durée.

    Êtes-vous seul(e) derrière ce compte ?

    J'administre le compte seul, mais c'est un travail collectif avec mes followers. Nous sommes nombreux sur Twitter à utiliser la fonction "capture d'écran".

    Utilisez-vous des outils ? Comment faites-vous ?

    Cela se résume essentiellement à prendre des captures d'écrans, qu'elles soient prises par moi ou par d'autres, car beaucoup de twittos m'alertent lorsqu'un tweet est supprimé. Par ailleurs, j'utilise énormément la recherche avancée de Twitter et des sites comme Socialblade... Les diverses web archive à notre disposition.

    Comment choisissez-vous vos "cibles" et êtes-vous impartial dans ce choix ?

    Je ne choisis pas. Je ne suis qu'un observateur assidu qui passe trop de temps sur Twitter. Et Twitter étant principalement le réseau social des politiques et des journalistes, ils représentent une grande partie de ma timeline. Je n'ai pas de ligne éditoriale, je m'efforce d'épingler tout le monde, de tous bords et de tous partis. 

    Certains vous accusent de ne pas respecter le "droit à l'oubli". Que leur répondez-vous ?

    Selon moi, le "droit à l'oubli" n'est pas compatible avec Internet tel qu'il est conçu. Il n'y a donc pas de débat possible sur ce sujet. Dès qu'un twittos poste publiquement un tweet, ce tweet demeure dans l'espace public. Bien sûr, tout le monde à le droit à l'erreur, c'est pour cela que de nombreux twittos épinglés viennent régulièrement expliquer, de bonne foi, les raisons de leur suppression. Aucun problème à ce sujet avec mon compte.

    Certains pourraient aussi vous reprocher d'épingler publiquement mais de tweeter sous pseudo... 

    Il y a selon moi une hypocrisie autour de la notion d'anonymat sur les réseaux sociaux. Beaucoup d'anti-anonymat hurlent sans réfléchir dès qu'ils voient un "pseudo" et se calment s'ils voient un nom et un prénom. Mais sont-ils au courant que Twitter ne réclame pas de carte d'identité lors d'une création de compte ? C'est totalement absurde : je suis persuadé que si je twittais sous "Alain Dupont" ou "Sophie Durand" personne ne me parlerait d'anonymat.

    Par ailleurs, mon compte provoque la colère et l'hystérie de certains qui se lancent dans des attaques en meute assez violentes (intimidations, tentatives de doxxing (2), menaces de morts, etc). L'anonymat est indispensable.

    Enfin, ma vraie identité n'a aucun intérêt et n'apporte rien à mon action. La réponse n’intéresserait personne excepté quelques curieux.

    Combien de temps pensez-vous tenir ce compte ? 

    Aussi longtemps qu'il informera autrement. Aussi longtemps qu'il amusera.


    + Eclairage

    virginie-bensoussan-brule"Il est extrêmement dangereux de republier des contenus supprimés" 

    Virginie Bensoussan-Brulé, avocate à la Cour d'appel de Paris, directrice du pôle Contentieux numérique du Cabinet Lexing Alain Bensoussan avocats, spécialisé dans le droit du numérique et des technologies, nous livre son éclairage juridique :

    Le réseau social Twitter est-il un espace public ou privé ?

    Sauf exception, lorsque l'on s'exprime sur Twitter, comme sur les autres plateformes, nous sommes dans la sphère publique, par opposition à la correspondance privée. Et cela que l'on s'exprime sous sa vraie identité ou sous pseudonyme. D'ailleurs, en réalité on n'est jamais totalement anonymes lorsque l'on s'exprime sous "pseudo" puisque les intermédiaires techniques, qu'ils soient français ou étrangers, conservent les données d'identification de leurs utilisateurs et doivent les communiquer, sur décision de justice, aux personnes qui en font la demande (que ce soit la police ou bien une société ou un particulier qui auraient obtenu l'accord d'un magistrat) en cas de comportement illicite (injures à caractère racial ou homophobe, propos diffamatoires, atteintes à la vie privée, etc). 

    Exhumer des tweets est-il légal ?

    Le principe de la liberté d'expression s'applique sur Twitter, sauf abus (injures, diffamation, etc). Et le délai de prescription pour agir en cas d'abus est de 3 mois pour de la diffamation ou des injures publiques et d'un an pour des injures à caractère racial ou homophobe. Passé ce délai, il n'est plus possible d'intervenir. Pourtant, il se peut qu'une personne ait conservé les propos initialement publiés, à travers une capture d'écran par exemple. Eh bien si cette personne republie ces propos alors que ceux-ci contiennent une injure à l'égard d'un tiers, le délai de 3 mois ou 1 an recommence à courir et c'est celui qui a republié les propos qui en devient responsable. Quand bien même il n'est pas l'auteur de l'injure initiale. Il est donc extrêmement dangereux de republier des contenus supprimés. 

    Le compte @FallaitPasSuppr pourrait-il être sanctionné ?

    Il pourrait l'être d'abord pour les raisons que je viens d'évoquer, si le tweet republié contient une injure ou une diffamation envers un tiers. Par ailleurs, il pourrait l'être également pour les propos qu'il tient lui-même : car il ne fait pas que republier des messages, il les commente et donne son avis. Il suffirait qu'il aille un peu trop loin, en réagissant à chaud par exemple, pour que ce soit possible. Enfin, il pourrait aussi être poursuivi si jamais il publiait sur son compte des copies d'écran de messages directs, qui relèvent alors de la correspondance privée. Il en va de même d'un SMS, d'un mail, ou d'un courrier papier : ce n'est pas parce que l'on est le destinataire d'un courrier, quel que soit son format, qu'on a le droit de le publier. On ne peut le faire que si l'on a l'accord de tous les acteurs de cette correspondance. 

    (1) "Grimage en noir", en français. Selon Wikipédia, ce terme désigne une forme théâtrale américaine du 19ème siècle où un comédien incarne une caricature stéréotypée de personne noire. 
    (2) Activité consistant à chercher puis à publier sur internet des informations privées sur une personne sans sa permission.

    À lire sur Archimag
    Les podcasts d'Archimag
    Rencontre avec Stéphane Roder, le fondateur du cabinet AI Builders, spécialisé dans le conseil en intelligence artificielle. Également professeur à l’Essec, il est aussi l’auteur de l’ouvrage "Guide pratique de l’intelligence artificielle dans l’entreprise" (Éditions Eyrolles). Pour lui, "l’intelligence artificielle apparaît comme une révolution pour l’industrie au même titre que l’a été l’électricité après la vapeur".
    Publicité