Laurence Engel est présidente de la Bibliothèque nationale de France. Nommée à la tête de l'institution au mois d'avril 2016, elle présente ici les principaux chantiers de la BnF, notamment sa volonté d'accroître sa visibilité sur le web.
Au mois de novembre prochain, la BnF organisera son deuxième hackathon : quels sont les objectifs de cet événement ?
Ils sont larges : donner à voir et partager tout ce que la BnF peut apporter dans notre monde façonné à l’ère numérique, nourri d’un discours sur la circulation et la réutilisation des données ! Et ce, à partir de nos collections, qui sont sublimes !
Il s'agit d'illustrer l'un des aspects les plus importants de la vie de la bibliothèque : l'organisation et la mise à disposition des savoirs. Aujourd'hui, les outils qui permettent de mettre nos collections à portée du public sont, pas seulement, mais très largement, numériques, et ils sont de premier niveau : la BnF doit le faire savoir et démocratiser ces outils.
Le hackhaton en est l’occasion. Il va révéler cette part de la bibliothèque. La première édition l'an dernier avait attiré de nombreux experts qui ont l'habitude de participer à ce type de manifestation. Ils ont apprécié de travailler sur des jeux de données de qualité, en compagnie des spécialistes de la BnF qui sont restés auprès d'eux pendant 24 heures.
Cette deuxième édition sera-t-elle différente ?
Elle se déroulera les 25 et 26 novembre prochains et, autour du thème de la musique, s’adressera cette fois non seulement aux personnes capables de développer des applications, mais, plus largement, à tout le monde. Ce sera une occasion populaire de « parler numérique » et de jouer avec...
...les données.
Côté technologie et hackathon au sens strict, nous allons continuer d’interagir avec nos usagers, de développer de manière collaborative les fonctionnalités et des applications de Gallica.
Et côté grand public, ce hackathon sera l'occasion de s'interroger sur les données : qu'est-ce que l'open data ? Que signifie le numérique pour tous ? Comment travailler avec tous ces outils ?
Il y aura des conférences et des ateliers, y compris pour les enfants. Une dimension ludique et une dimension artistique, avec l’installation d’œuvres et une soirée musicale. Nous proposons une vision profondément démocratique du numérique, sous l’angle du quotidien.
Dans le même esprit, un BiblioRemix a été organisé au mois de juin dernier afin d'imaginer les bibliothèques de demain. Quels ont été les résultats pour la BnF ?
Nous souhaitons vraiment travailler à partir de ce que le public nous dit. Ce BiblioRemix en est un exemple, dont l’objectif était d’imaginer une réorganisation de la salle « presse ». Nous partirons donc de ce travail pour réaménager la salle. Les salles des « périodiques » sont souvent les premiers espaces visités par les usagers et ceux qui évoluent le plus vite.
Au fond, nous poursuivons cette belle histoire du monde des bibliothèques : l'attention portée au public fait partie de leur ADN. Il ne faut jamais oublier que les bibliothèques sont la première porte d'entrée vers les institutions culturelles.
La bibliothèque numérique Bibliothèques d'Orient a été lancée le 12 septembre dernier. Elle associe la BnF et huit autres bibliothèques implantées au Proche-Orient : la protection du patrimoine en danger est-elle importante à vos yeux ?
Oui, bien sûr. La BnF est d’ailleurs naturellement attachée à la protection du patrimoine. Elle dispose des compétences et des moyens en matière de restauration, de préservation et de conservation du patrimoine documentaire qu’elle se doit de partager. Elle le fait en intervenant à l'échelle internationale. En formant des collègues à l'étranger, en intervenant sur place pour restaurer des documents précieux, en partageant ses outils de conservation numérique.
La Bibliothèque nationale de France est par exemple intervenue au Mali après les pillages des manuscrits de Tombouctou. Elle était également présente auprès du Président de la République à Abu Dhabi en 2016 pour le lancement de l'initiative de l'Alliance pour la sauvegarde du patrimoine en danger.
Le projet Bibliothèques d'Orient s’inscrit dans cette volonté de contribuer à la conservation des documents. Et au-delà de permettre à ce patrimoine d’être accessible, et donc vivant.
Allez-vous poursuivre cette politique de partenariats à l'international ?
Absolument. Nous proposons déjà une collection de portails « Patrimoines partagés » qui rassemble des initiatives diverses, nous associant à la Pologne, au Japon, au Brésil... Cela permet de faire connaître ces patrimoines, de susciter des recherches, de raconter une histoire que nous partageons, en réunifiant en numérique des patrimoines répartis dans différents pays.
Où en est le chantier de rénovation du site Richelieu ?
Nous avons engagé la seconde phase du parcours. Nous avons ouvert au public la première moitié des locaux rénovés au mois de décembre 2016. Les travaux seront entièrement terminés en 2020 pour une ouverture au public en 2021. C’est une belle perspective !
20 ans après son inauguration, le site François Mitterrand a-t-il besoin de rénovation ?
Comme tous les bâtiments, celui-ci a vieilli : quelles que soient ses qualités, certains équipements méritent d'être rénovés. Nous souhaitons également modifier certains espaces afin de les adapter aux usages d’aujourd’hui. C’est un outil vivant : il évolue !
Gallica célèbre son 20e anniversaire cette année. Quels sont les chiffres de fréquentation de cette bibliothèque numérique et quelles sont ses perspectives d’évolution ?
Gallica reçoit 16 millions de visiteurs uniques par an. C’est remarquable. Et c’est le résultat d’un travail quotidien. La Bibliothèque nationale de France mène une « bataille du référencement ». C’est un enjeu majeur. Il faut capter l'attention de l'internaute.
Cela passe par une adaptation permanente de nos outils pour être visibles sur le web. C’est la condition pour que le patrimoine que nous conservons soit connu et reconnu. Conserver, c’est indispensable, mais ce n’est que la moitié du travail d'une institution comme la nôtre. Il faut aussi organiser ces savoirs, y associer des données et des métadonnées de qualité.
Et nous permettons ainsi à tout le monde de ne pas compter sur les seuls algorithmes de puissants opérateurs commerciaux pour accéder à ces savoirs.
Ces vingt dernières années, la BnF a réalisé un très important travail de numérisation patrimoniale afin de constituer une collection numérique. Cela nous a permis d'exister sur la toile, car l'on sait bien qu'il faut être massivement présent pour exister sur le web. Et nous continuons.
Mais il faut aussi proposer des outils de qualité pour accéder à ces collections numérisées. Ce qui veut dire aujourd’hui parler le langage du web, car c'est là que les gens naviguent. Être efficace pour être accessible. Et faire connaître le rôle des bibliothèques dans cette économie mondiale des savoirs.
Un exemple. Nous avons développé Data.bnf.fr, un outil qui permet à tous les autres – la bibliothèque numérique, le moteur de recherche, les catalogues – d’être plus visibles sur le web. D'amener les internautes vers nos collections, mais aussi vers d'autres bibliothèques, comme la British Library.
Cette adaptation aux évolutions technologiques doit-elle passer par des partenariats technologiques avec des institutions extérieures ?
La logique partenariale peut être fructueuse. Nous travaillons ainsi avec Telecom ParisTech, notamment sur l'analyse des usages sur le web. Il s'agit d'un partenariat très productif qui nous permet d'avoir une meilleure connaissance des parcours des internautes sur nos différents sites.
Toujours avec Telecom ParisTech, nous avons le projet de créer une chaire d’humanités numériques pour développer les outils de connaissance du web. C’est un enjeu stratégique, que le secteur public et le secteur privé ont en partage.
Nous voulons par ailleurs créer des services nouveaux pour les chercheurs dans le domaine de la fouille des données. Nous avons développé un partenariat avec l’université Paris Sorbonne, dont nous allons accueillir le laboratoire de recherche Obvil. C’est cela aussi la bibliothèque de demain !
Vous avez décidé de réduire le prix de l’abonnement pour accéder à la BnF. Cela a-t-il permis d’inverser la baisse de fréquentation de la bibliothèque et d’attirer de nouveaux usagers ?
Absolument, nous avons constaté une hausse de 30 % du nombre de détenteurs de carte et la fréquentation est depuis le début de l’année en hausse. C'est un motif de satisfaction. La création du pass à 15 euros répondait à l’analyse que nous avions faite du « prix acceptable » par les usagers, mais c’était aussi une invitation lancée au public, une manière plus généreuse de s’adresser à lui en ouvrant plus largement nos portes.
S'agit-il d'un nouveau public ?
Il est encore trop tôt pour avoir déjà étudié ce nouveau public de manière précise. Mais, d'une façon générale, le public de la BnF se renouvelle tous les ans : les détenteurs de carte pour la bibliothèque « tous publics » du haut de jardin sont chaque année de nouveaux usagers pour moitié.
Comment la BnF peut-elle exister face à Google ?
En étant technologiquement pertinente. Il faut faire en sorte que Google amène les internautes vers la BnF ! D'ailleurs, la majorité d'entre eux arrive sur Gallica via Google. Je suis convaincue que la décision prise il y a vingt ans de ne pas numériser les collections de la BnF avec « l'aide » de Google a été une décision vitale pour l'institution.
La BnF a pu garder la main sur son patrimoine. Mais cela ne veut pas dire rejeter Google ! Il faut en revanche dire et répéter que Google n'est qu'un lieu de passage, très efficace certes, vers des données et des métadonnées produites par d'autres, dont les bibliothèques. C’est la multiplicité des acteurs qui garantit la liberté vraie.
Je signale enfin que toutes les données et les métadonnées produites par la BnF sont en open data, accessibles et réutilisées par qui le souhaite… et y compris les gros opérateurs du net !
Comme d’autres institutions culturelles, la BnF va-t-elle devoir faire des économies ?
La BnF a déjà fait beaucoup d’économies ! Elle a réduit ses effectifs de 10 % depuis la RGPP (Révision générale des politiques publiques lancée en 2007 afin de baisser les dépenses publiques.) ce qui n'est pas anodin. Parallèlement, nous avons développé nos outils, notre offre culturelle et nous poursuivons nos investissements.
Allez-vous poursuivre les partenariats avec des acteurs privés ?
Bien sûr. Partenariats éditoriaux, partenariats techniques, partenariats financiers, mécénat : il faut simplement chercher les idées justes. J'ai déjà évoqué le projet de chaire en humanités numériques pour lequel nous cherchons des partenaires privés.
Le projet de rénovation du site Richelieu, qui s'élève à 250 millions d'euros pris en charge pour l’essentiel par l'État, nous conduit également à chercher des mécènes pour certains travaux de restauration, sur un projet symbolique très fort. Les partenariats public-privé, quand ils sont pertinents, doivent être engagés.
La BnF a lancé des appels auprès du public pour acquérir un manuscrit royal de François 1er et pour rénover la salle Ovale du site Richelieu. Avez-vous l’intention de poursuivre ces souscriptions ?
Oui, nous venons d'ailleurs de lancer une nouvelle souscription pour restaurer le Salon Louis XV (également connu sous le nom de Cabinet du roi) du site Richelieu.
Que sait-on des donateurs ?
Les profils des donateurs sont variés, mais ils présentent un point commun : l'attachement au patrimoine et aux bibliothèques. Nous recevons des dons de montants très différents, propositions modestes, de l'ordre de dix euros. Ces dons sont accompagnés de petits mots qui témoignent de cette relation intime que les usagers tissent avec leur bibliothèque.
Le mécénat, c’est aussi un accord, un partage de valeur.
En 2016, la BnF a reçu au titre du dépôt légal 77 986 livres, 2 036 disques vinyle, 10 273 documents vidéo, 753 jeux vidéo, 1 171 partitions musicales et méthodes de musique… Qu’en est-il des capacités de stockage de la BnF ?
On ne désherbe pas à la Bibliothèque nationale ! Nous conservons tous les documents que nous recevons. Depuis François 1er, la question des réserves est donc déterminante.
Lors de la conception du site de Tolbiac, les estimations prévoyaient des capacités suffisantes pour trente ans... Mais vingt ans plus tard, nous sommes déjà proches de la saturation en raison d'une production éditoriale qui a doublé par rapport aux décennies précédentes.
Au passage, notons que le livre numérique est loin d'avoir remplacé le livre papier !
Nous avons donc le projet de construire de nouvelles réserves sur nos emprises existantes. C'est un nouveau chantier d'investissement que l'État devra assumer.