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Le design thinking : vers une coproduction entre les bibliothèques et les usagers

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    À Lezoux (Puy-de-Dôme), la démarche design thinking remonte à 2012. Ici, des adolescentes réalisent un panneau. (Photo Médiathèques entre Dore et Allier, D. Grudet)
  • Le concept de design thinking place le lecteur au cœur de l’innovation dans les bibliothèques. Apparue il y a une dizaine d’années, cette démarche créative centrée sur l’humain mise également sur la réalité du terrain afin de vérifier que les solutions imaginées correspondent bien aux besoins des usagers.

    Temps de lecture : 6 minutes

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    C’est le document de référence des bibliothécaires qui réfléchissent à l’avenir des bibliothèques. L’ouvrage « Design thinking for libraries », traduit en quinze langues, a pour ambition de populariser le concept de design thinking dans l’univers des bibliothèques. Composé de trois fascicules (un guide méthodologique décrivant le processus, un livret d’activité et un abrégé), ce vademecum place l’innovation au cœur de sa réflexion.

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    Comment développer la participation des usagers ? Comment concevoir de nouveaux services ? Et comment fait-on pour innover ? « Les manuels traditionnels de bibliothéconomie abordent peu — ou pas — ces sujets », constate Nicolas Beudon, conservateur des bibliothèques et préfacier de la version française de « Design thinking for libraries » ; « c’est un vide qu’il devenait urgent de combler : les bibliothécaires ne doivent pas être dépossédés de ce type de savoir-faire s’ils veulent continuer d’imaginer eux-mêmes l’avenir de leur profession ».

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    Le design thinking : une démarche d'innovation centrée sur l’humain, créative et itérative

    Apparu il y a une dizaine d’années, le concept de design thinking a été décliné dans de multiples domaines : le commerce, l’éducation, la santé ou l’économie solidaire.

    Popularisé par l’agence de design californienne Idéo, il vise à résoudre les problèmes en s’attachant aux besoins des usagers.

    « C’est une démarche qui est à la fois centrée sur l’humain, créative et itérative », explique Nicolas Beudon ; « elle est centrée sur l’humain parce qu’elle prend comme point de départ l’observation des individus concernés par un projet, et en premier lieu les usagers ou les utilisateurs auxquels on s’adresse : quelles sont leurs pratiques ? leurs façons de penser ? leurs problèmes ? leurs besoins réels ? Le design thinking est une démarche créative car elle vise à générer des solutions nouvelles, enracinées dans ces observations, plutôt qu’à appliquer des recettes toutes faites. Enfin, elle est itérative : les solutions imaginées en brainstormant sont testées sur le terrain avant d’être finalisées, pour s’assurer qu’elles fonctionnent et qu’elles correspondent bien aux besoins du public. »

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    Le design thinking en bibliothèque

    Appliqué aux bibliothèques, le design thinking semble en mesure de soulager les bibliothécaires :

    « J’ai changé ma façon d’envisager le club de lecture de notre bibliothèque de quartier », explique Jeremy Kitchen (bibliothèque de Bridgeport, Chicago) ; « au début, personne ne venait ! Après plusieurs conversations avec mes lecteurs, j’ai compris que la bibliothèque n’était peut-être pas le lieu le plus approprié pour organiser des rencontres. J’ai imaginé une nouvelle version du club en le transposant dans un endroit où les gens se réunissent naturellement : un café qui se trouve juste en bas de la rue. Le plus important avec le design thinking, c’est de parler avec vos usagers et de faire des expériences ».

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    Que peuvent faire les bibliothèques publiques aujourd’hui ?

    Aux yeux de Nicolas Beudon, « les bibliothèques sont des institutions qui ont beaucoup évolué depuis vingt ans et qui continuent de se transformer. Elles sont confrontées de plein fouet à toutes sortes d’évolutions culturelles et sociétales : le développement du numérique, la mutation des façons d’apprendre et de s’informer, le besoin croissant de lieux de vie polyvalents et ouverts à tous… Prenons l’exemple de la musique : on sait que le support CD est en train de disparaître au profit d’autres modes de consommation. En même temps, il est difficile d’éliminer les fonds existants car certaines personnes continuent d’en emprunter et on n’a pas encore trouvé de meilleur moyen pour proposer de la musique en bibliothèque (les offres numériques sont très peu utilisées). Que peuvent faire les bibliothèques publiques aujourd’hui pour continuer de proposer au plus grand nombre une offre musicale alternative aux circuits commerciaux et dématérialisés ? Pour répondre à ce type de question, il n’y a pas d’autre moyen que d’observer les usages, d’expérimenter et de tâtonner, ce qui constitue l’essence même du design thinking ».

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    Une coproduction bibliothécaires-habitants

    À Lezoux (Puy-de-Dôme), la démarche design thinking remonte à 2012 : « Nous n’utilisons pas cette expression anglaise, mais nous avons adopté son principe », explique Jean-Christophe Lacas, directeur du réseau des médiathèques entre Dore et Allier ; « le comité de pilotage mis en place avant la construction de la médiathèque avait alors décidé de recueillir la parole des habitants de l’intercommunalité pour mieux comprendre leurs attentes et leurs besoins. Nous les avons invités à parler librement autour de tables installées dans la ville. De ces conversations informelles sont nées des idées que nous avons retenues… »

    Ces idées ont pris des formes variées et inattendues : un atelier cuisine, une grainothèque, un séchoir solaire… Sans oublier une coproduction bibliothécaires-habitants pour l’enrichissement documentaire de la médiathèque. Une convention permet aux usagers de prêter des ouvrages et des magazines à la médiathèque afin de combler les lacunes des collections. Une démarche qui prend également un sens particulier dans un contexte de compression budgétaire dans l’acquisition de nouveaux documents.

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    Ne pas fétichiser le design thinking

    Pour Jean-Christophe Lacas, « la médiathèque dépasse ainsi son rôle de lieu culturel pour devenir un vrai espace de citoyenneté. Mais attention ! Cette démarche a un impact sur l’architecture du bâtiment. Elle invite également les bibliothécaires à s’interroger sur leurs missions. Cela modifie la conduite de projet d’établissement et il faut être prêt à accepter les pas de côté et l’erreur… »

    Un appel à la prudence partagé par Nicolas Beudon :

    « L’un des écueils principaux consiste à fétichiser cette approche. En tant que consultant, je suis souvent sollicité par des établissements qui souhaitent “faire du design thinking”. Pour moi, la vraie question est plutôt : quel est votre projet ? Quel est votre problème et quels sont les outils les plus adaptés ? Êtes-vous prêt à remettre en question votre expertise métier pour tester des solutions nouvelles et potentiellement atypiques ? Dans ce cas, le design thinking est une option possible. C’est une boîte à outils flexible, plus ou moins pertinente en fonction des situations, et en aucun cas une recette miracle… »

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    En bibliothèque universitaire aussi aussi…

    Les bibliothèques universitaires se convertissent, elles aussi, au design thinking. C’est par exemple le cas de la BU droit-gestion (SCD Lille) qui a minutieusement observé les pratiques des étudiants afin de réaménager son espace culture de 300 m².

    Après trois semaines d’observation (549 personnes observées et 103 usagers interviewés), les bibliothécaires ont organisé deux sessions de rencontre avec une cinquantaine d’étudiants. Ces derniers étaient invités à dresser une « liste du Père Noël » et faire des suggestions : davantage de lumière naturelle, des canapés confortables, des plantes, des espaces pour se retrouver, mais aussi pour s’isoler…

    Après plusieurs mois de travaux, le nouvel espace culture a rouvert au mois de novembre 2019. Les suggestions des étudiants ont été entendues avec notamment l’acquisition de rayonnages plus discrets afin de ne pas entraver la circulation de la lumière naturelle. Des canapés modulables et des plantes ont également été achetés. Satisfaction pour les bibliothécaires : l’établissement a enregistré une hausse de la fréquentation.

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