Qui a dit que les archivistes étaient repliés sur leurs inventaires et leurs fonds documentaires poussiéreux ? Au contraire, ils sont de plus en plus nombreux à investir le monde numérique. C'est désormais une obligation... et même une volonté de rendre les archives "glamour"...
"Le métier d'archiviste a connu plus d'évolution ces trente dernières années que depuis son apparition consciente au XIXème siècle". Voilà ce que l'on pouvait lire en quatrième de couverture du référentiel métier publié en 2009 par l'Association des archivistes français (AAF). Six ans plus tard, en 2015, on ne peut que renouveler ce constat. "L'évolution du métier connaît en effet une accélération sans précédent. Le numérique a bouleversé beaucoup de choses" confirme Sandrine Heiser, chargée de mission à l'AAF.
De fait, la révolution numérique impacte profondément le monde des archives. Les archivistes en sont bien conscients puisqu'une partie d'entre eux a dû se mettre à niveau pour exercer son métier. Jusqu'au début des années 90, le volet numérique était quasiment absent des formations initiales. Les formations continues ont alors permis aux professionnels d'acquérir de nouvelles compétences numériques désormais indispensables. "Il faut bien avoir à l'esprit qu'un archiviste qui entre dans la carrière aujourd'hui va travailler les 40 prochaines années dans un environnement fortement numérisé. A titre personnel, j'ai dû entreprendre un Master 2 "Technologies numériques appliquées à l'Histoire" dispensé à l'Ecole nationale des chartes. Malgré une formation initiale de qualité, il était indispensable que je me mette à niveau. On ne s'improvise pas spécialiste du standard d'encodage des instruments de recherche EAD XML !" souligne Sandrine Heiser.
"Les archivistes doivent prendre leur place dans l'open data"
Et les compétences numériques ne se limitent pas aux seuls standards archivistiques. Les archivistes sont de plus en plus nombreux à s'intéresser à...
...l'open data. L'Association des archivistes français a d'ailleurs noué des contacts avec la mission Etalab qui pilote la politique d'ouverture des données publiques en France. Elle est également en relation avec la Secrétaire d'Etat chargée du numérique Axelle Lemaire. "Les archivistes peuvent apporter leur réflexion sur l'open data car ils ont tout pour s'intéresser à l'ouverture des données publiques. Ils savent ce qu'est un document et comment on le valorise. Notre double casquette administration et culture nous donne une légitimité accrue." souligne Katell Auguié, présidente de l'AAF.
La valorisation du patrimoine documentaire passe également par des compétences numériques. Qu'il s'agisse de création d'expositions virtuelles ou d'animation de réseaux sociaux, les archivistes mettent désormais les mains dans le cambouis numérique. On compte par exemple près de 50 institutions archivistiques (archives nationales, départementales ou municipales) présentes sur Facebook. Une vingtaine disposent d'un compte Twitter. D'autres, moins nombreuses certes, ont ouvert des blogs ou des comptes sur Flickr, Pinterest ou Scoop it. Aux yeux de Sandrine Heiser, cette présence sur les réseaux sociaux devient une quasi-obligation : "aujourd'hui, la valorisation des archives passe aussi par le numérique. Il faut savoir être glamour avec les archives !"
Big data et visualisation des données
Même analyse pour Lourdes Fuentes Hashimoto, responsable des archives électroniques chez Total, qui estime que les archivistes doivent de toute évidence mettre à jour leurs compétences : "le numérique a provoqué des changements radicaux et nous devons être en mesure de faire face à de nouvelles situations. Les archivistes doivent désormais avoir une compréhension globale de ce qu'est un système d'information. Ils doivent également mener une veille permanente pour se tenir au courant des évolutions dans les domaines de l'open data, du big data et de la visualisation des données. Le métier d'archiviste est à multiples facettes : le coeur de métier demeure car nous devons toujours savoir classer et valoriser ; mais il est essentiel que nous développions nos compétences numériques".
De fait, les offres d'emploi font apparaître une demande toujours plus forte en capacités numériques. Les archivistes qui disposent de ces compétences numériques ont une vraie plus-value, remarque-t-on dans le métier. Selon le baromètre de l'emploi dans les métiers du management de l'information, "la connaissance des logiciels métier est un atout. Les expériences sur des solutions, qu'elles soient propriétaires ou open source, permettront au candidat de se démarquer". Sont notamment requises des connaissances en informatique documentaire et en logiciels d'archivage. Sans oublier les traditionnelles applications bureautiques.
Même la vénérable Ecole des chartes forme ses étudiants au numérique. Et cela depuis plusieurs années déjà. "Nous évoluons à la mesure des transformations du contexte professionnel : exploitation des sources nativement numériques, traitement des archives contemporaines, numérisation... Qui sait, par exemple, que ce sont des chartistes qui s'occupent du dépôt légal du web au sein de la Bibliothèque nationale de France ?", demande Jean-Michel Leniaud, directeur de l'Ecole nationale des Chartes.
Prendre en compte la valeur économique des archives
En revanche, d'autres compétences sont toujours aux abonnés absents dans les formations actuelles : "la conduite de projet et le management sont aujourd'hui quasiment absents des cursus", remarque Lourdes Fuentes Hashimoto. "Tout comme la question de la valeur économique des archives. La France a traditionnellement une vision culturelle de son patrimoine mais nous devons également prendre en compte la valeur économique de ce patrimoine". A l'heure où les compressions budgétaires entravent de plus en plus les missions de service public, les archivistes devront-ils, comme d'autres, trouver eux-mêmes de nouvelles sources de financement ? On sait que c'est déjà le cas de certains établissements culturels prestigieux qui privatisent tout ou partie de leurs sites le temps d'une soirée ou d'un colloque. Moyennant quelques milliers ou dizaines de milliers d'euros...
"Les archivistes doivent eux aussi innover dans le domaine du mécénat. Ils doivent s'ouvrir à des partenariats avec d'autres instituions publiques et même des acteurs privés. Nous sommes à l'heure de la multitude et la valeur est dans cette multitude. Les archivistes doivent avoir mettre en place les bons dispositifs pour exploiter la valeur de leurs archives" estime Lourdes Fuentes Hashimoto.
Autant d'enjeux qui ne manqueront pas d'être abordés lors du prochain Forum de l'Association des archivistes français qui se tiendra l'année prochaine à Troyes. Le thème de cette édition ne doit rien au hasard : Méta/morphoses, les archives bouillons de culture numérique... Les archivistes pourront échanger sur une (r)évolution qui n'a pas fini de bouleverser leur métier.