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Archives et réseaux sociaux : le passé en direct live

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    Message posé le 23 mai par DesFemmesQuiComptent : "Vous êtes au bureau et vous trouvez votre open space trop bruyant? Imaginez un peu ce que ces dactylographes devaient penser". (DR)
  • Les archives s’exposent depuis plusieurs années sur les réseaux sociaux, temples du partage et de l’interactivité, afin de gagner en visibilité. Mais tous les projets s’y prêtent-ils ? Et comment toucher la plus large audience possible ? Retour sur quelques succès du genre : Zeituhr1938, Léon Viven, MadeleineProject et DesFemmesQuiComptent.

    « Les témoins directs disparaissent et la transmission aux nouvelles générations est un défi majeur ». Cette réflexion de la directrice du Fonds national autrichien pour les victimes du national-socialisme, Hannah Lessing, à l’occasion de la commémoration des 80 ans de l’Anschluss, le mois dernier, résume bien le challenge à relever par tous ceux qui font vivre les archives et communiquent sur des événements historiques. 

    Zeituhr1938 : capter la génération internet

    C’est dans la rue et sur smartphone que le projet Zeituhr1938 (traduit en France par Chronomètre1938) a fait (re)vivre 220 documents d’archives (interviews, vidéos, articles, correspondances diplomatiques, etc.) durant neuf heures de « live ». Du 11 mars à 18 heures au 12 mars à 3 heures, ces documents ont été projetés sous la forme de cartes postales numériques sur la façade de la chancellerie fédérale de Vienne, mais aussi sur internet et sur Twitter sous le hashtag #zeituhr1938​. De quoi sensibiliser les plus jeunes à l’annexion de l’Autriche en mars 1938 par Adolf Hitler. « L’idée, c’est de capter la génération internet, en essayant de traduire un événement historique dans le langage médiatique contemporain », expliquait l’historienne Heidemarie Uhl, l’une des conceptrices du projet.

    Léon Vivien : comme s’il faisait partie de la famille

    Le renouvellement des supports de narration, avec le choix notamment des réseaux sociaux, est une piste explorée par de nombreux projets commémoratifs. Rappelez-vous de Léon Vivien, cet instituteur de 29 ans, envoyé sur le front de la Première Guerre mondiale et mort au combat le 22 mai 1915 en direct sur... Facebook. Son récit a captivé plus de 60 000 « fans » : il y racontait son quotidien sous forme de billets adressés à sa femme Madeleine et y postait des photographies, notamment des tranchées, de ses compagnons d’infortune, et même de son fils Aymé, né pendant le conflit. À elle seule, cette photo avait d’ailleurs recueilli 2 812 likes et des centaines de commentaires. On croyait presque le connaître, ce jeune poilu, c’était comme s’il faisait partie de la famille, et pourtant... il n’a jamais existé.

    Léon Vivien est le fruit de la créativité de l’équipe du Musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux (Seine-et-Marne). « L’idée nous a été suggérée par l’agence web DDB », expliquait Lyse Hautecoeur, chargée de communication du musée, à Archimag en 2014 ; « tout est parti d’une idée : et si Facebook avait existé en 1914… ? Nous avons aussitôt compris que nous tenions là un projet très innovant susceptible de donner de la visibilité à notre musée ». Si le succès fut au rendez-vous - la création digitale remporta de nombreux prix et le projet donna même lieu à un livre papier -, le projet a même réussi à toucher les jeunes générations : 60 % des fans de la page Facebook avaient alors moins de 35 ans.

    Storytelling historique

    « Depuis plusieurs années, les projets de médiation culturelle se multiplient, en particulier sur Twitter où la brièveté des messages se prête bien à une nouvelle forme de storytelling historique », déclarait l’an dernier Martin Grandjean, chercheur en histoire à l’Université de Lausanne et spécialiste du numérique, lors de la conférence Digital Humanities 2017 de Montréal, au Canada. Pour qui s’intéresse de près ou de loin à l’histoire et aux archives, Twitter est en effet le support idéal pour la découverte et le partage de documents illustrant la petite et la grande histoire.

    MadeleineProject : "s’intéresser au fond par le biais de la forme"

    C’est ce qu’a compris la journaliste Clara Beaudoux, en se lançant en novembre 2015 dans un projet inédit : tweeter en direct son enquête sur la vie d’une anonyme (l’ancienne occupante de son appartement) à partir de ses archives retrouvées dans une cave. En matière de storytelling historique, on peut difficilement faire mieux ! Avec son tweet documentaire, le MadeleineProject, la jeune femme a réussi à passionner des milliers d’internautes durant cinq saisons (les quatre premières ont même été rassemblées dans un livre en novembre 2017). « Ce projet est transgénérationnel », confiait Clara Beaudoux à Archimag l’an dernier, « notamment en raison de l’opposition de sa forme (Twitter) et de son fond (les archives et le passé). Du coup, certains jeunes ont pu s’intéresser au fond par le biais de la forme ». 

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    Pourtant, l’engouement suscité par son projet a surpris la jeune femme : « J’ai très vite reçu de nombreux messages et ai progressivement posé des questions aux gens qui me suivaient pour les inciter à participer : ils m’ont par exemple aidée à identifier des objets trouvés dans la cave, certains m’ont envoyé des photos d’endroits où Madeleine était partie en vacances, d’autres ont même posté des photos de gâteaux réalisés à partir des recettes de Madeleine ». Sans calcul ni préméditation, la jeune femme engageait peu à peu sa communauté Twitter et transformait progressivement ses followers en ambassadeurs. La base des stratégies social media. Aujourd’hui, la saison 1 du MadeleineProject, compilée sur Storify, compte plus de 130 000 vues.  

    DesFemmesQuiComptent : "créer une expérience pour faciliter la mémorisation"

    Créer des expériences digitales de ce type (et bien d’autres), c’est le travail de Dorianne Wotton, au sein de son agence de communication L : EDigitalab. Son crédo : « Il faut créer une expérience pour faciliter la mémorisation ». Vidéos interactives, musées virtuels, ou même projets de réalité augmentée sur le web... Pour la jeune femme, la seule limite aux projets qui lui sont confiés est son imagination. C’est à son agence que s’est adressé un groupe de travail rassemblant plusieurs services d’archives de différents établissements bancaires. Après un premier projet sur la Première Guerre mondiale, mené il y a deux ans sous l’égide de l’Association des archivistes de France et qui avait eu de bons retours, la même équipe souhaitait cette fois-ci s’attaquer à un nouveau sujet : Des femmes qui comptent, sur l’évolution de la place des femmes dans la société à partir des institutions bancaires et financières. 

    DesFemmesQuiComptent

    Là encore, la volonté est de toucher un large public, mais aussi de le sensibiliser à ce que sont les archives d’entreprises et au cheminement réalisé par le droit des femmes depuis la fin du 19e siècle. Après la rédaction d’un synopsis en juin, des centaines d’allers-retours avec les archivistes et un travail d’écriture titanesque en amont, un blog a d’abord été lancé en octobre dernier. Marie, un personnage fictif, en est la narratrice. Elle y partage ses découvertes sur les archives et le parcours de femmes dans l’univers de la banque à travers des billets, focus et podcasts, centrés sur une thématique. « L’objectif de cette première phase était de créer notre communauté », se souvient Dorriane Wotton.

    S’immerger autrement

    Février a marqué le début de la seconde phase : celle des tweets documentaires, en trois saisons. L’idée cette fois-ci est de permettre au public de s’immerger autrement dans la vie des femmes de l’époque à travers trois portraits d’employées de banque ayant (fictivement) vécu au cours de trois grandes périodes du féminisme : Eugénie, Pauline et Annie, employées de 1897 à 1935, de 1936 à 1972 et de 1973 à 2010. Chaque parcours étant illustré d’archives remarquables. Depuis février jusqu’à la fin avril, le destin de chaque femme est ainsi reconstitué sur Twitter au rythme de 3 documents postés chaque jour pendant un mois (50 tweets par portrait). « Tous les projets ne se prêtent pas au tweet documentaire, explique Dorriane Wotton, mais il est idéal lorsqu’il y a un aspect chronologique et que l’on souhaite favoriser l’interactivité ».

    Côté audience, le projet a d’abord été suivi par des archivistes ainsi que par des chercheurs en histoire et en ressources humaines. Mais rapidement, une nouvelle communauté s’intéressant au droit des femmes s’est mise à suivre le projet. « Nous n’avions pas prévu que la thématique des femmes arriverait sur le devant de la scène fin octobre (les premières révélations sur l’affaire H.Weinstein sont sorties en octobre 2017, NDLR) ce qui nous a donné un coup de projecteur », explique Dorriane Wotton ; « et rapidement, des archivistes anglo-saxons ont relayé la démarche, puis beaucoup de curieux et enfin pas mal d’agences de marketing et de communication. C’est à ce moment-là que je me suis dit que nous avions bien travaillé ! » La sphère archivistique était largement dépassée. 

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