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Archives des féminismes : rencontre avec l'historienne Christine Bard

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    "Pour les militantes, la conscience de posséder des archives n’est pas toujours évidente", explique Christine Bard. (Laurence Prat)
  • Christine Bard est historienne, spécialiste de l’histoire des femmes, du genre, du féminisme et de l’antiféminisme. Elle préside l’association Archives du féminisme et copréside l’AféMuse (Association pour un musée des Féminismes). Christine Bard a codirigé l’ouvrage "Les féministes et leurs archives", paru en 2023 aux Presses universitaires de Rennes. Retrouvez notre podcast en fin d'article.

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    Comment le livre "Les féministes et leurs archives" a-t-il été construit ?

    Codirigé par Pauline Boivineau, Marion Charpenel, Bénédicte Grailles, Audrey Lasserre et moi-même, c’est un ouvrage important, car unique en son genre. Ce livre collectif, qui rassemble plusieurs disciplines et qui s’est ouvert à des militantes, est le fruit d’un colloque qui s’est tenu en 2018 à l’Université d’Angers.

    Dans le cadre du programme Gedi (Genre et discriminations sexistes et homophobes), nous avions lancé un appel à participation sans limites de frontières, mais restreint à la période 1968-2018, c’est-à-dire celle des deuxième et troisième vagues des féminismes.

    Qu’est-ce qu’une archive féministe et quels sont les obstacles à la constitution d’un fonds ?

    Il y a toujours eu une pluralité de définitions des féminismes dans le temps et dans l’espace. Ma posture d’historienne n’est pas de dire "voilà ce qu’est le féminisme", car c’est avant tout un mouvement collectif dans lequel des singularités s’expriment. C’est un mouvement de transformation de la société porté par des courants variés sur le plan politique, philosophique, culturel…

    J’emploierais plutôt le terme d’archives des féminismes. Celles-ci émanent des activités militantes, d’associations, d’autrices ou d’auteurs et prennent différentes formes (presse, livre, image, photographie ou encore audiovisuel).

    La constitution d’un fonds d’archives des féminismes peut rencontrer de multiples difficultés en amont et en aval. Pour les militantes, la conscience de posséder des archives n’est pas toujours évidente et peut parfois intervenir très tardivement.

    Pour certaines, les freins viennent d’une méfiance vis-à-vis d’une logique académique. Dans le livre, l’article de Karine Bergès sur les féministes autonomes à Madrid illustre bien cette problématique. Parfois encore, il faut vaincre les réticences lors de la transmission d’un fonds.

    Par exemple, le fonds du Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC) est assez sensible : il comprend des registres de femmes qui, avant la loi Veil, ont avorté à l’étranger. Il faut aussi rassurer sur les conditions matérielles et techniques de conservation ; une préoccupation des descendants de la femme politique et féministe Cécile Brunschvicg (1877-1946), par exemple.

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    Le livre porte un regard international sur la constitution, la conservation et les usages des archives des féminismes. Où en sommes-nous ?

    Si l’histoire des femmes et des féminismes s’est beaucoup développée un peu partout dans le monde, elle prend appui sur des archives qui sont inégalement conservées et valorisées. Depuis quelques années, il y a vraiment une conscience partagée sur l’urgence d’améliorer l’état de la documentation pour mieux écrire cette histoire.

    Afin qu’elle soit plus complète et pas seulement constituée de celle des courants dominants ou de ceux les plus compatibles avec les pouvoirs en place. C’est le tournant de l’"archivisme" : la collecte, la préservation et la valorisation des archives sont devenues un enjeu militant, une forme d’activisme.

    Les situations dans les pays divergent en fonction du contexte politique. Que reste-t-il du féminisme en période de dictature où certains centres d’archives peuvent servir de lieux de résistance ? C’est le cas par exemple en Israël, où des féministes militant pour la paix travaillent avec des Palestiniennes et dérangent le pouvoir en place.

    Pour des pays comme la France, la situation est différente : le clivage se fait autour de la question de l’institutionnalisation - que font les archives publiques ? - et du désir d’autonomie de certains centres pour être directement utiles à une cause militante.

    En France, comme dans d’autres pays, nous avons développé une troisième voie au sein d’une université : c’est une alternative assez ancienne, à l’initiative d’historiennes féministes en Grande-Bretagne et aux États-Unis qui a joué un grand rôle.

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    Justement, vous parlez dans votre livre du Centre des archives du féminisme (Caf). De quoi s’agit-il ?

    L’histoire du Centre a débuté en 2000 et partait d’un constat : à Paris, la bibliothèque spécialisée portant le nom de sa fondatrice, Marguerite Durand, était saturée et nous déplorions la perte d’archives. À l’époque, les Archives nationales ne s’intéressaient pas aux archives du féminisme.

    Le centre a donc pris place au sein de l’Université d’Angers, où j’enseignais déjà. Il fonctionne de manière bicéphale : d’un côté, la vie du Centre est assurée par Nathalie Clot (directrice de la BU), Damien Hamard (directeur adjoint archives et recherche de la BU), et France Chabod (responsable des fonds spécialisés) ; de l’autre, l’association Archives du féminisme prend des initiatives de collecte et de valorisation.

    Avec plus de 80 fonds d’archives préservés, le bilan du Caf est très positif. Et ceci grâce à l’existence du cursus d’archivistique de l’Université d’Angers animé par Bénédicte Grailles. Cette formation envoie de nombreuses et de nombreux stagiaires, ce qui crée un lien très fort avec les étudiants.

    L’université offre une bulle protectrice à notre travail : un espace qui rassemble l’enseignement, la recherche, les bibliothèques… et qui est autonome par rapport au pouvoir politique. C’est précieux, puisque nous bénéficions d’une liberté ainsi que d’une marge d’initiative pour le développement et la valorisation des archives du féminisme. Et cela se poursuit, avec la création notamment du musée des Féminismes.

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    Pourquoi créer un musée des Féminismes ?

    Il y a un vrai retard en France à ce niveau et c’est assez choquant. Le musée est un moyen formidable pour transmettre les connaissances issues de la recherche. Toucher les jeunes en âge scolaire est l’un de ses enjeux, car nous savons qu’il y a un grand décalage entre une recherche florissante et le conservatisme des programmes des collèges et des lycées.

    Le musée des Féminismes est un projet qui mûrit depuis longtemps. En 2001, nous avions créé une Association de préfiguration d’un musée d’histoire des femmes. Validé par la Mairie de Paris et annoncé le 8 mars 2002 par Bertrand Delanoë, il n’a finalement jamais vu le jour…

    Si l’association s’est dissoute, et sans perdre de vue l’intérêt de créer un tel lieu, nous nous sommes consolé·es en réalisant un musée virtuel à l’Université d’Angers : Musea.

    Face à l’augmentation des demandes de visite du Caf, le projet de musée a repris en 2022 et s’est transformé. À la fois, parce qu’il y avait une opportunité de création d’un lieu au sein de la BU d’Angers en travaux jusqu’en 2027, mais aussi parce qu’à la même période, Magali Lafourcade, juriste et secrétaire générale de la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’homme) a publié une tribune dans Le Monde évoquant la création d’un musée des acquis du féminisme.

    Je l’ai immédiatement contactée et nous construisons le projet depuis l’automne 2022 à travers l’AféMuse (Association pour un musée des Féminismes), avec également Julie Verlaine, Damien Hamard, Julie Botte, Julie Pellegrin et d’autres.

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    Comment se préfigure-t-il ?

    Nous cherchons des mécènes, sollicitons des financements publics, avons réalisé nos premières acquisitions et lançons également notre première collecte d’objets ayant été utilisés dans des manifestations féministes. Cette dimension participative est aussi une façon de nous rapprocher de la communauté des féministes.

    Le musée, dont les travaux sont pilotés par Nathalie Clot, comprendra un parcours permanent de taille raisonnable, car l’essentiel sera donné aux expositions temporaires. Dans notre projet, nous nous orientons vers une ouverture internationale et collective et valorisons le lien avec la recherche.

    Nous devons aussi faire attention à l’histoire que nous racontons, en prenant en compte toute la pluralité des voix féministes. La première exposition aura lieu en 2024, sans attendre la fin des travaux.

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