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Au sommaire :
- Dossier : prévenir et guérir l'infobésité
- Méthodes et outils pour éviter l’infobésité à tous les niveaux : des e-mails à la gestion de l’information, en passant par la lutte contre la désinformation
- Comment le réseau documentaire Ascodocpsy a adopté une digital workplace pour lutter contre l’infobésité
- Comment l’ISM a repris la main sur ses documents grâce à l’archivage électronique
Beaucoup de lectrices et de lecteurs d’Archimag se retrouveront dans la description suivante : votre navigateur web comporte un premier onglet pour LinkedIn, un deuxième pour X (ex-Twitter), un troisième pour une application bureautique, puis un quatrième pour un logiciel métier et ainsi de suite…
Sans oublier la messagerie qui se remplit sans discontinuer et un téléphone qui envoie des notifications à une cadence intenable. La liste pourrait encore être élargie à la plateforme Discord, aux digital workplaces et aux flux RSS !
Disons-le d’emblée, ce déluge informationnel est devenu la norme pour de très nombreux travailleurs. Notamment pour les professionnels de l’information-documentation qui, par nature, sont connectés à une multitude de sources d’information.
Lire aussi : Lutter contre l'infobésité : il y a un Observatoire pour ça
Selon l’Observatoire de l’Infobésité et de la collaboration numérique (OICN), les salariés gèrent en moyenne 144 courriels par semaine (331 pour les dirigeants). Et plus de 30 % des e-mails sont dus à l’utilisation de la fonction "copie" !
Probablement ces chiffres sont-ils sous-estimés dans le cas de certaines professions. On peut en effet parier sans risque qu’ils sont bien plus élevés parmi les veilleurs et les documentalistes. Résultat : 53 % des Français disent souffrir de fatigue informationnelle (voir notre infographie).
Charge mentale professionnelle et sentiment d’incompétence
Les conséquences de cette hyperconnexion sont désormais documentées et elles commencent à être prises au sérieux par les organisations, car "les impacts sont multiples et à plusieurs niveaux", constate l’OICN. "Pour les salariés notamment, on note une augmentation du stress et de la charge mentale professionnelle, une plus forte exposition aux risques psychosociaux et au burn-out. Pour les organisations ensuite, car c’est une collaboration numérique qui n’est pas efficiente : une gestion du temps complexe qui nuit au travail en équipe, une perte d’informations dans l’océan de celles échangées quotidiennement, et un impact environnemental numérique qui ne prend pas la bonne trajectoire."
Pire, certains collaborateurs finissent par éprouver un sentiment d’incompétence. Dans certains cas, cela peut même déboucher sur une pathologie d’épuisement professionnel et mener tout droit au burn-out. Le psychologue britannique David Lewis va même plus loin.
Après avoir analysé les témoignages de 1 300 salariés (en Grande-Bretagne, aux États-Unis, à Singapour, à Hongkong et en Australie), il est arrivé à la conclusion que deux tiers des personnes interrogées souffraient d’un stress lié à la prolifération de l’information dans le cadre professionnel.
"Le stress informationnel apparaît lorsque les salariés doivent gérer d’énormes volumes de données alors qu’ils sont pris par le temps. Face à un tel défi, le corps réagit en faisant appel à des réponses primitives de survie".
20 minutes ou une heure par jour ?
Les réactions du corps - au sens large - prennent des formes variées : déficit de l’attention, cyberdépendance, peur de rater une information importante (le fameux symptôme FOMO ou fear of missing out)…
Une célèbre étude du cabinet IDC souligne que plus de 7,4 heures sont consacrées chaque semaine par les salariés "à rechercher des informations sans les trouver". Soit quasiment une journée de travail hebdomadaire ! Cette étude est ancienne (2010) et elle a été contestée pour son exagération.
Lire aussi : Infobésité, désinformation... Un Français sur deux souffre de fatigue informationnelle
L’éditeur de solutions de gestion électronique de documents ANT’inno s’en tient à des chiffres plus prudents : "partant d’une évaluation très raisonnable de quelques 20 à 30 minutes par jour, le coût effectif sur une année, pour un salaire lui aussi très raisonnable (le Smic, par exemple), est de l’ordre de 1 000 à 1 200 euros par an (ce qui correspond à environ un jour par mois). Évidemment, si l’on parle d’ingénieurs ou de chefs de service, par exemple, ce coût est plutôt de l’ordre de 4 000 ou 5 000 euros par an."
On pourra pinailler à l’infini sur ces études, mais une chose est sûre : au-delà des chiffres, l’infobésité devient un fléau quand elle entrave la bonne marche des organisations. Lorsqu’un dirigeant est confronté à une surcharge d’informations, sa capacité à prendre la meilleure décision possible est altérée.
Dans un ouvrage récent , Frank Rouault et Philippe Lemaire esquissent une série de bonnes pratiques : équilibrer l’information entre ce qui est nécessaire et ce qui est apporté, considérer le volume et le temps de traitement de l’information en fonction des capacités d’attention, se concentrer sur l’information corrélée à son activité, rester concentré, reconnaître que l’on ne peut pas tout savoir…
"Quel que soit notre secteur d’activité, nous sommes de plus en plus nombreux à reconnaître être destinataires d’une masse croissante d’informations. La gérer est devenu un aspect essentiel de notre travail, jusqu’à absorber une part importante de notre attention", expliquent les deux auteurs. "De plus en plus, la réussite de nos réalisations professionnelles et personnelles dépend directement de notre capacité à manager efficacement ce flux de données qui nous parvient."
Entropie informationnelle
L’infobésité peut se mesurer en chiffres, mais elle peut également être analysée par les dysfonctionnements organisationnels qu’elle génère. L’Observatoire de l’Infobésité et de la collaboration numérique évoque le phénomène d’entropie informationnelle, c’est-à-dire un bruit numérique qui se nourrit de plusieurs processus : la transversalité des projets, les formes de management matricielles… Le tout exercé dans un contexte hybride.
Là encore, le courrier électronique fait office de fléau à combattre. "L’organisation doit générer moins de 20 % d’e-mails en copie pour être efficiente", estime l’OICN. Autres réflexes à acquérir : limiter les conversations par e-mails avec plus de cinq personnes dans la boucle, développer l’utilisation d’outils collaboratifs pour les projets les plus complexes, passer à la logique de recherche d’informations utiles au bon endroit, plutôt que de recevoir l’exhaustivité des informations disponibles…
"Lorsqu’un échange dépasse les trois réponses, l’e-mail n’est pas l’outil le plus adapté pour collaborer efficacement. Pourtant, par mimétisme et automatisme, nous répondons à notre interlocuteur par le canal qu’il utilise. Pour sortir du cercle vicieux, il est intéressant de questionner le choix du canal de communication, et de revaloriser les échanges humains quand ils sont possibles."
Lire aussi : Marie Ged : "L'infobésité génère des risques psychosociaux et de burn-out"
Droit à la déconnexion
En 2016, la loi Travail (ou loi El Khomri) a introduit pour la première fois dans le droit du travail un droit à la déconnexion. Désormais inscrit dans le Code du travail, ce droit doit s’accompagner, dans les entreprises de plus de cinquante salariés, de "la mise en place par l’entreprise de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques. (…) À défaut d’accord, l’employeur élabore une charte [qui] définit ces modalités de l’exercice du droit à la déconnexion". Objectif : parvenir à un usage raisonnable des outils numériques.
Un salarié peut-il se retourner contre son employeur pour non-respect du droit à la déconnexion ? Selon le cabinet LegiSocial, "il n’est pas prévu de pénalité en cas d’absence de charte sur le droit à la déconnexion. Attention toutefois : en l’absence de charte, l’employeur peut se voir condamner pour faute inexcusable en cas de maladie ou d’accident d’un salarié lié(e) au non-respect de son droit à déconnexion".
L’impact environnemental de la production inconsidérée de données
Le thème de l’infobésité s’invite jusqu’à l’Assemblée nationale et au Sénat via l’OPECST (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques) qui regroupe 18 députés et 18 sénateurs.
Dans une note publiée il y a quelques mois, les parlementaires dressent un constat alarmant : "l’explosion des données est une réalité incontestable dont il convient de prendre toute la mesure : même si d’autres déluges de données ont pu être rencontrés dans le passé, l’ampleur du phénomène actuel est inédite".
Combattre le syndrome de Diogène numérique
L’OPECST évoque l’impact environnemental de la production inconsidérée de données numériques et entend prévenir "le risque de submersion lié à cette lame de fond". Tout en reconnaissant l’existence de solutions technologiques (effacer progressivement certaines données grâce à une technologie de "pourriture contrôlée", par exemple), l’Office estime qu’il convient de mener "un combat culturel en faveur de démarches de sobriété […] [et de] limiter l’accumulation obsessionnelle de données, véritable syndrome de Diogène numérique".
Pour les parlementaires, ce combat culturel doit d’abord s’appuyer sur une formation aux enjeux numériques, à l’échelle individuelle et au niveau des organisations. Cela doit se passer par la mise en place d’une hygiène numérique, comme le nettoyage régulier de données inutiles stockées dans les messageries électroniques et les applications métiers.
Quant à la déconnexion pure et simple, l’Office ne peut que constater les faits : "ce réflexe est encore trop peu présent dans notre société".