Baisse des ventes de DVD, progression du streaming : quelle sensibilité les bibliothèques manifestent-elles vis-à-vis de cette tendance lourde ? À terme, les catalogues des bibliothèques de lecture publique et universitaire comporteront-ils tous une offre de vidéo en ligne, à usage de loisir ou d’étude ? Un lecteur inscrit pourra-t-il accéder de son écran à un large éventail de films ou Mooc ? Quels facteurs favorisent cette perspective ? Quels en sont les freins ? Spécialiste du domaine, Jean-Yves de Lépinay répond.
Sommaire du dossier :
- Vidéo en bibliothèque : quelles offres pour quels usages ?
- Streaming, VOD, DVD... quels modes de diffusion et quels formats pour la vidéo en bibliothèque ?
- Vidéo : quelles sont les trois offres incontournables de VOD pour les bibliothèques ?
- Zoom sur l'offre vidéo de la bibliothèque universitaire de Paris 8
- La VOD victime de son succès dans les médiathèques de Rennes
- Entrez dans les coulisses des bibliothèques productrices de vidéos !
Jean-Yves de Lépinay est documentaliste, programmateur, formateur et consultant. Il a notamment travaillé au sein du Forum des images et est actuellement chargé de cours à La Sorbonne Nouvelle-Paris 3 et à InaSup. Il est également président de l’association Images en bibliothèques. Pour Archimag, il fait le point sur l’offre vidéo en bibliothèque, ses contraintes et son impact sur le métier.
Où en est l’offre vidéo dans les bibliothèques publiques ?
L’offre vidéo est multiple tant du point de vue des territoires concernés que des collections proposées. De très nombreuses médiathèques proposent en effet une offre vidéo, directement ou à travers les collections des bibliothèques départementales de prêt. Le réseau professionnel Images en Bibliothèques rassemble environ un millier d’établissements adhérents et ce chiffre est encore loin de refléter l’ampleur du nombre d’établissements proposant de la vidéo.
L’offre vidéo est également multiple car tous les genres y sont représentés : la fiction, le documentaire, les séries TV, le court-métrage, le film expérimental, l’animation…
Et qu’en est-il de la vidéo dans les bibliothèques universitaires ?
La majorité des bibliothèques universitaires propose une offre vidéo. À titre d’exemple, Paris 8 met à disposition des usagers des DVD en consultation sur place ainsi qu’environ 800 titres en vidéo à la demande (VOD). La BU diffuse également ses propres archives vidéo en DVD comme les cours de Gilles Deleuze issues de l’université de Paris Vincennes au début des années 1970. Alors qu’elles évoluent progressivement vers un modèle de learning center, les BU signalent de plus en plus leur offre vidéo.
Quelles sont les modalités d’accès à cette offre vidéo en bibliothèque ?
L’accès à l’offre vidéo se fait encore aujourd’hui très majoritairement via le DVD. À ce jour, l’offre de DVD ne faiblit pas et le public emprunte toujours autant ce type de document alors que, dans le même temps, les prêts de CD musicaux continuent de baisser. Un certain nombre de films rares ou exigeants trouvent d’ailleurs une seconde vie grâce aux bibliothèques. Aujourd’hui, plusieurs opérateurs fournissent les DVD aux bibliothèques : l’Adav, Colaco, CVS, RDM…
Nous assistons par ailleurs à la montée en puissance de la VOD et la présence de plusieurs fournisseurs. À ce jour, trois offres généralistes dominent le marché : Médiathèque numérique, CVS et Adavision.
Médiathèque numérique — proposée par Arte-VOD et UniverCiné — commercialise un forfait auprès des bibliothèques qui disposent alors d’un certain nombre de visionnages. Elles proposent ensuite un code d’accès à leurs usagers qui peuvent regarder ce film depuis leur domicile. Le public n’a ainsi plus besoin de se déplacer à la médiathèque pour visionner un document. Cette offre est la plus répandue en raison de la qualité de ses contenus.
L’offre de CVS fonctionne sur un modèle différent : la bibliothèque a accès à l’ensemble du catalogue et l’usager dépense un certain nombre de jetons qui lui sont attribués. La force de cette offre réside dans le tout numérique car CVS propose par ailleurs de la musique et de la lecture numériques.
Quant à Adavision, son modèle est encore différent : la bibliothèque acquiert une licence sur un fichier qui est ensuite mis à disposition des usagers.
Il existe aussi plusieurs offres plus spécialisées : Tënk, Les Yeux doc, L’Harmathèque, Images de la culture, Films-pour-enfants.com…
Ces trois offres vidéo généralistes correspondent-elles aux besoins des médiathèques ?
Aucune de ces offres ne remplit les conditions qui seraient idéales pour les médiathèques. Les bibliothécaires ne peuvent pas constituer librement leurs collections car, dans le cas de Médiathèque numérique par exemple, seuls les films d’Arte et d’UniversCiné sont disponibles. Et les bibliothèques ne sont plus en mesure de contrôler leur budget : si la VOD fonctionne très bien, cela lui coûte plus cher ; si la VOD ne fonctionne pas, la bibliothèque souffre d’un manque de reconnaissance.
Par ailleurs, la différence de coût entre un film rare et un film grand public ne devrait pas exister : on n’imagine pas un traitement différent entre un livre de Guillaume Musso et un livre de Georges Perec ! Il faudrait instituer un forfait pour permettre aux usagers de visionner une séquence dans un film, puis une séquence dans un autre film sans que ces visionnages ne soient comptabilisés comme une consommation.
À ce jour, la VOD reste souvent dispendieuse et problématique. Mais chacune des offres a ses atouts et peut correspondre à une situation particulière.
D’autres contraintes pèsent-elles sur les médiathèques ?
Oui, notamment dans le domaine juridique car la vidéo obéit à une cascade de droits : le droit de prêt, le droit de consultation sur place, le droit de projection… Or ces droits s’achètent séparément et, éventuellement, avec des fournisseurs différents. De plus, le bibliothécaire doit comparer les différents catalogues pour constituer sa collection car aucun catalogue ne dispose de la totalité des films disponibles. Pour ajouter à la difficulté, une autre question se pose : la procédure de marché public. Les bibliothèques doivent passer des marchés publics avec les opérateurs et ne peuvent pas « picorer » dans les catalogues des différents fournisseurs pour constituer une offre la plus complète possible. Or, mener une procédure d’acquisition en dehors des marchés publics est compliqué.
Y a-t-il des contraintes d’ordre technique pour les SIGB ?
Aujourd’hui, quasiment tous les SIGB sont en mesure de traiter les vidéos sous forme de DVD. C’est en revanche plus compliqué pour la VOD notamment pour les « petits » opérateurs qui commercialisent des contenus de niche. Les grandes offres généralistes quant à elles ont développé des connecteurs vers les SIGB.
Les bibliothèques sont-elles également productrices de contenus vidéo ?
Il existe plusieurs types de production. Beaucoup d’établissements produisent des bandes-annonces et des films d’accueil qui sont d’ailleurs utilisés pour alimenter les réseaux sociaux. D’autres établissements, généralement plus importants, produisent des conférences : c’est le cas de la bibliothèque de Lyon La Part Dieu qui a enregistré près d’un millier de conférences qui se sont tenues dans ses murs. Il faut également signaler l’existence d’ateliers d’éducation à l’image ou d’apprentissage du français : ce type de production est de plus en plus répandu sur tout le territoire.
Quel est l’impact sur le métier de bibliothécaire ?
Comme tous les métiers des bibliothèques, celui du vidéothécaire est en pleine transformation. En particulier, il s’oriente de plus en plus vers la valorisation des contenus, plus que sur leur acquisition. D’autres organisations du travail doivent être mises en place. Malheureusement, la vidéo est très peu présente dans les formations initiales de bibliothécaire. En formation continue, notre réseau Images en bibliothèques forme entre 450 et 500 professionnels chaque année sur divers sujets : la constitution d’une collection, la gestion des droits… Nous proposons une quarantaine de stages chaque année.
Quel accueil le public réserve-t-il à cette offre vidéo ?
Le DVD reste le support privilégié et la VOD fonctionne plus ou moins selon les établissements : elle peut connaître un vrai succès si elle est valorisée par les bibliothécaires. Ce constat vient conforter l’importance de la médiation que les bibliothécaires doivent mettre en place.