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Écologie digitale : l'impact du numérique sur l'environnement n'est pas virtuel !

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    Inès Leonarduzzi rappelle que les entreprises sont les premiers foyers de pollution numérique atmosphérique. Selon elle, "les centres de données sont les usines du 21e siècle". (DR)
  • Rencontre avec Inès Leonarduzzi, présidente de Digital for the Planet, qu’elle a fondé en 2017 pour faire la promotion de l’écologie digitale dans le monde. La même année, elle a également créé l’association Women Inspiring Talks, un réseau de femmes entrepreneures basé sur l’échange et l’entraide. Pour Archimag, elle revient sur les définitions de pollution numérique et d'écologie numérique, ainsi que sur les mesures que peuvent (doivent) prendre les entreprises pour limiter leur impact environnemental. 

    Guide-veille-nouveaux-fondamentaux>>> Si l'écologie numérique et la pollution digitale vous intéressent, découvrez le dossier spécial "Passez à l'écologie numérique" du numéro 329 d'Archimag. La dématérialisation est-elle écologique ? Avec le numérique, est-on respectueux de l’environnement ? Vous saurez tout grâce à ce dossier complet. Découvrez son sommaire !

     

    En quoi le numérique est-il source de pollution ?

    Il l’est d’abord d’un point de vue atmosphérique. Nous savons maintenant tous que la fabrication et le recyclage de nos appareils électroniques sont extrêmement polluants. Les nanotechnologies ont besoin de métaux dont l’approvisionnement à travers le monde entraîne des conflits armés, une surexploitation des ressources naturelles et une pollution croissante (sols, air, eau, etc.) en plus de graves inégalités sociales.

    >Lire aussi : L'écologie numérique : infographie, chiffres-clés et conseils pour une dématérialisation plus verte

    La question des déchets des équipements électriques et électroniques (DEEE), et dont les experts estiment qu’ils devraient atteindre les 52,2 millions de tonnes d’ici 2021, est aussi problématique. La majeure partie d’entre eux, produits aux États-Unis et en Europe, sont exportés illégalement vers l’Inde, la Chine ou l’Afrique, et s’entassent dans des décharges à ciel ouvert extrêmement toxiques pour les populations, les sols et l’air. L’air n’ayant pas de frontières, nous sommes tous concernés.

    Avec d’autres acteurs, nous avons réalisé un important travail ces deux dernières années pour mesurer et révéler à l’aide de chiffres à quel point les usages du numériques sont aussi très polluants. Par exemple, beaucoup de gens ignorent encore qu’envoyer un email contenant une pièce jointe d’un mégaoctet dépense autant d’énergie qu’une ampoule allumée pendant une heure. Ou que l’impact écologique annuel de l’industrie du spam est le même que celui de trois millions de voitures.

    Nos cerveaux ne peuvent ressentir des dangers que nos sens ne peuvent pas percevoir, mais de tels chiffres peuvent les y aider. Le numérique est une industrie comme une autre et son impact sur l’environnement n’est pas virtuel : les centres de données sont les usines du 21e siècle.

    >Lire aussi : Écologie numérique : 10 conseils pour réduire votre empreinte numérique !

    Le numérique engendre-t-il d'autres types de pollutions ?

    Oui. Par exemple, la pollution numérique intellectuelle décrit la façon dont les technologies, quand elles sont censées nous tirer vers le haut et décupler nos potentiels, nous font au contraire parfois régresser, que ce soit d’un point de vue cognitif ou au niveau de notre intelligence collective.

    Il en va de même pour la pollution numérique sociétale : alors que le numérique devrait rapprocher les États, les civilisations et les cultures, certains projets ou phénomènes polluent la société en engendrant de nouveaux usages néfastes.

    Par exemple, dans certains pays d’Europe, la « soft robotic » (robotique molle) est utilisée pour remplacer les femmes dans les maisons closes parce qu’on peut faire bien plus de choses à un robot qu’à une prostituée, notamment des actes illégaux (violences, humiliations, etc.).

    Cette petite niche, au marché très prometteur, encourage donc les gens à contourner tout le travail qui a été fait dans nos sociétés en faveur de l’égalité des genres et contre les violences faites aux femmes pour pérenniser des pratiques violentes et dégradantes.

    >Lire aussi : Pollution numérique : pour une transition numérique plus écologique

    Mais alors, en quoi consiste l’écologie numérique ?

    J’ai conceptualisé l’idée d’écologie numérique, qui repose sur l’étude de la relation homme-environnement-machine et sur la façon d’en optimiser les rapports pour plus de bien commun et de durabilité.

    Elle consiste à trouver des réponses technologiques, scientifiques, législatives ou éthiques à tous les problèmes que posent les trois types de pollution numérique. Je suis persuadée que l’on peut faire des choses merveilleuses grâce aux avancées du numérique, notamment pour l’accès à l’éducation.

    Il est temps de nous demander si nous souhaitons un monde où les femmes robots seront des prostituées plutôt que des professeures en Afrique ou en Asie.

    >Lire aussi : Pollution numérique : "L'obsolescence logicielle réduit la durée de vie des terminaux"

    Vous décrivez Digital for the Planet comme un « Global Earth projet ». Quels sont vos leviers d’intervention ?

    Digital for the Planet a quatre grands pôles :

    • un pôle de diagnostic, qui dresse un état des lieux constant de l’ampleur des enjeux ;
    • un pôle R&D, dédié à la fois à la veille sur les projets qui existent dans le monde (nous prenons contact avec eux pour créer des synergies quand c’est possible), mais aussi à la recherche scientifique, technologique et environnementale. Nous inventons des solutions, comme Plana, un assistant intelligent écologique qui devrait voir le jour début 2020, comme notre projet de blockchain à impact social bas carbone ou comme notre outil de mesure énergétique des systèmes numériques des entreprises que nous utilisons comme support de travail avec nos clients.
    • un pôle philanthropique, qui implique de nombreuses formations et conférences. Nous avons aussi lancé le programme « IA for my people » avec le député Pierre-Alain Raphan, qui vise la démocratisation et d’évangélisation de l’IA pour tous les citoyens.
    • un pôle dédié à l’accompagnement des entreprises et des collectivités via le conseil et la mise en place de nos outils.

    >Lire aussi : Écologie numérique : les data, un gouffre énergétique à combler

    Les entreprises ont-elles beaucoup à faire en la matière ?

    Elles sont les premiers foyers de pollution numérique atmosphérique, mais elles sont aussi un reflet social. Elles sont au cœur de la transformation, car il faut se rendre à l’évidence : ce sont elles qui définissent ce qu’est une nation (elles ont bien plus d’argent que les États !).

    En les faisant évoluer, on peut à la fois réduire leur pollution atmosphérique et jouer sur les mentalités en faisant bouger les choses de l’intérieur.

    De très grands groupes (bancaires, cosmétiques, etc.) nous ont déjà contactés et nous ont confirmé inclure l’écologie numérique dans leurs enjeux. 
    Les projets avec les PME sont plus lents parce qu’elles n’ont pas forcément les moyens d’investir dans des audits complets. Nous essayons néanmoins de les accompagner dans le cadre de nos activités philanthropiques, mais nous sommes une petite équipe et manquons encore de temps et de moyens.

    Une infographie, disponible sur notre site, recense une dizaine d’actions numériques écologiques faciles à mettre en place qui peuvent déjà les aider à réduire leur impact environnemental.

    >Lire aussi : Seuls 27% des Français sont conscients de l’impact du numérique sur l’environnement

    Vous avez développé le concept d’« IT for green ». De quoi s’agit-il ?

    Le « green IT », c’est l’écoconception logicielle, elle fait partie chez nous des solutions pour lutter contre la pollution numérique atmosphérique.

    L’« IT for green », c’est l’idée d’orienter ces logiciels responsables et sobres en énergie vers l’écologie pour faire en sorte que le numérique ne soit plus un simple usage, mais bien un outil au service du bien commun et de la durabilité. C’est exactement ce que nous essayons de faire avec Plana.

    Cela prend du temps, mais on ne lâche rien : si l’on est capable de créer des robots qui font n’importe quoi, on doit bien être capable de créer de tels outils !

    Vous êtes une femme entrepreneuse qui a de plus en plus d’influence. Est-ce facile, pour une femme, d’avoir du pouvoir en France ?

    « La femme sera vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignera une femme incompétente », a dit Françoise Giroud il y a plus de trente ans. Cette phrase est toujours d’actualité, car si les femmes de pouvoir sont de plus en plus nombreuses, les femmes « au » pouvoir le sont encore trop peu.

    Oui, les femmes ont besoin d’être accompagnées pour s’approprier les codes d’un monde auquel elles ont rarement eu droit, mais leurs compétences ne sont pas en cause. Elles font d’ailleurs du management depuis la nuit des temps ! Confinées pendant des siècles dans une maison, elles savent parfaitement rationner les ressources alimentaires, financières et matérielles. Elles savent calculer, anticiper les besoins et prévoir les dangers dans un esprit de survie du foyer.

    >Lire aussi : Le numérique représente 4 % des gaz à effet de serre dans le monde

    Ce sont exactement les enjeux d’une entreprise : créer du profit pour faire durer une équipe le plus longtemps possible. On entend beaucoup de choses sur l’empowerment féminin, comme si les femmes avaient besoin d’être « empuissancées ». Mais ce ne sont pas les femmes qui doivent l’être, c’est la société !

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    Pour cet épisode spécial Documation, nous nous sommes penchés sur une autre grande tendance de l'année 2024 : la cybersécurité, et plus particulièrement la sécurité dans le domaine de la gestion des données. La protection des données contre les menaces internes et externes est non seulement cruciale pour garantir la confidentialité, l'intégrité et la disponibilité des données, mais aussi pour maintenir la confiance des clients. Julien Baudry, directeur du développement chez Doxallia, Christophe Bastard, directeur marketing chez Efalia, et Olivier Rajzman, directeur commercial de DocuWare France, nous apportent leurs éclairages sur le sujet.
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